Six jeunes Cris sont aujourd'hui à 20 km d'achever un rêve qui ne manquait pas d'ambition: traverser le Québec depuis la baie James, un pas à la fois, pour finalement arriver à Ottawa et livrer un message d'espoir et d'unité. Ils étaient six amis âgés entre 16 et 20 ans accompagnés du guide Isaac à leur départ de Whapmagoostui (Poste-à-la-Baleine), le 16 janvier. À leur arrivée au parlement, quelque 1600 km plus tard, ils seront des centaines. Récit d'une mission accomplie.

Nishiyuu - pour «humains» - est le nom qu'ils ont donné à leur longue marche, qui a eu un effet boule de neige. À Chisasibi, dix marcheurs se sont joints aux six pionniers. En quittant Wemindji, ils étaient 35. Après leur passage à Eastmain: 42. Les chiffres ont grimpé à mesure que le groupe poursuivait sa marche vers le sud. Enfin, un peu plus d'une centaine de personnes ont atteint hier le 1580e km de la randonnée, quelque part entre Wakefiled et Chelsea, le long de la rivière Gatineau.

L'idée, née au plus fort du mouvement de contestation autochtone Idle No More, était pour les Cris de rétablir les liens avec leurs alliés traditionnels et de reprendre la route commerciale qu'utilisaient leurs ancêtres pour marchander avec les Algonquins et les Mohawks, entre autres. L'heure est à l'unité, ont répété de nombreux jeunes qui marchaient hier, les yeux rivés au sol à certains moments, le regard rieur à d'autres. «Nous ne sommes pas des vendus», a lancé une jeune fille crie de 16 ans, refusant de s'expliquer davantage. On se doute toutefois que le message vise à rappeler l'affection que porte la communauté crie à ses terres en dépit de la Convention de la Baie-James, entente signée en 1975 qui donne à Québec le droit de développer le nord du Québec.

Les jeunes pleurent à la fin de la journée, remarquent les plus vieux qui, de toute évidence, sont eux aussi fort émus devant la vitalité de la jeunesse. «Ce sont eux la prochaine génération, il faut leur faire confiance», a observé Roger Patrick Orr, qui aide les marcheurs en jouant tantôt l'infirmier, tantôt le conseiller.

À une journée de la destination tant attendue, l'humilité est le trait qui ressort le plus chez les randonneurs. «Je ne sais pas encore ce que je vais dire demain [aujourd'hui], devant le parlement. Je vais devoir y penser», a dit Isaac Kawapit, le guide de 47 ans, qui ne laisse pas paraître la fatigue accumulée au cours de l'épuisante expérience qu'il s'apprête à conclure. Il a épaulé les six jeunes hommes dès leurs premiers pas à travers la forêt qui entoure Poste-à-la-Baleine, à des températures atteignant -58oC avec le vent. «Mais je me suis blessé au genou il y a quelques jours», a laissé tomber l'homme assis dans une voiture. «Je me sens triste», a-t-il ajouté, les yeux dans l'eau, après avoir serré son adolescent dans ses bras.

Marcher pour guérir

«J'avais des idées suicidaires, mais plus maintenant», a dit Angel, la gorge nouée. L'adolescente de 14 ans est entrée dans la marche avec sa soeur à Chisasibi, sur la rive est de la baie James. «Moi, j'ai arrêté de consommer depuis que je marche», a ajouté Damas, de Lac-Simon, en Abitibi. Aux abords de la route, les résidants de Wakefield ont préparé des pommes ou de l'eau pour encourager les marcheurs. «C'est une belle occasion de connaître les Premières Nations», a dit l'un d'eux. Plus loin devant, Max Poucachiche et ses copains - cris et algonquins - ricanaient. «On marche à six kilomètres à l'heure», a affirmé l'un d'eux, l'air espiègle. Aujourd'hui, promettent-ils, des communautés de partout au pays viendront les rejoindre devant le parlement. Ce sera la fin de l'aventure Nishiyuu, mais les marcheurs espèrent que ce sera aussi le début de quelque chose d'encore plus grand.