Branle-bas de combat cette semaine dans le petit village de La Motte, perdu au beau milieu de l'Abitibi, à l'écart de tous les circuits touristiques. Ses habitants, qui l'ont choisi pour sa tranquillité, craignent d'être envahis par les touristes. Pourquoi? Parce que c'est le village natal du cardinal Marc Ouellet, que plusieurs vaticanistes voient comme le prochain pape. Il faut dire que l'exemple des villes natales des anciens papes ont de quoi les émouvoir: des centaines de milliers de pèlerins s'y pressent chaque année. Après le prochain conclave, l'Abitibi pourrait-elle devenir un nouveau pôle de tourisme religieux?

Le conclave a beau se dérouler à des milliers de kilomètres de La Motte, en Abitibi, le vote de 117 cardinaux pourrait changer la vie des 439 habitants de la petite localité. Si d'aventure le fils le plus illustre du village, le cardinal Marc Ouellet, est élu pape, les Lamottois se préparent à une véritable invasion de touristes.

«Si jamais Mgr Ouellet est nommé pape, il y aura certainement un flux de touristes qui arriveront et ça va déranger le quotidien des habitants», explique Stéphanie Lamarche, directrice du marketing de Tourisme Abitibi-Témiscamingue. Après quelques recherches sur le web, le bureau de tourisme a rapidement constaté que les villes natales des papes précédents étaient très fréquentées par les pèlerins (voir autres textes).

«On peut s'attendre à ce qu'une vague importante de touristes déferle sur tout l'Abitibi-Témiscamingue, dit Mme Lamarche. En fait, c'est comme si on s'était acheté un billet de loterie et qu'on rêvait à ce qu'on allait faire si on gagne.»

Les autorités touristiques de la région ont d'ailleurs tenu une réunion, lundi soir, dans le village natal de Marc Ouellet. On a commencé à discuter, avec les élus locaux et la famille du cardinal, des infrastructures - destinées aux touristes, mais aussi aux médias - qui devront être mises en place si Marc Ouellet accède à la papauté.

Le village de La Motte est isolé des grands-routes, hors de tous les circuits touristiques. Outre la beauté âpre et sauvage de la nature abitibienne, il n'y a rien, à La Motte: ni restaurant, ni hôtel. Le seul commerce est celui de Lise et Florian Breault, un magasin général à l'ancienne où l'on trouve de tout, des clous de six pouces aux bonbons «à la cenne» en passant par une bouteille de vin ou de shampooing.

«J'ai des clients qui pensent qu'il va s'installer des restaurants, des hôtels, dit Mme Breault. Sur 10 clients, j'en ai deux qui sont contre: ils disent qu'on va perdre notre petit village tranquille.»

Le maire de La Motte, René Martineau, fait partie des inquiets. «On va être envahis. C'est sûr que ça amène de l'inquiétude. Comment on va faire? Aucune idée. On n'a rien, ici.»

«Si jamais il est élu, on va se ramasser comme Malartic: on va se faire envahir. Pas par une mine, mais par beaucoup de touristes», résume Danny Lévesque, alias Danny Twist, auteur-compositeur local qui forme le trio des Frapabords avec sa conjointe, Liette Constant. Danny Twist a d'ailleurs déjà composé un hymne franchement rigolo, On va-tu l'avoir, notre pape, chez nous? à cet éventuel pape abitibien.

Un circuit «Marc Ouellet»

Verra-t-on naître un «circuit Marc Ouellet» à La Motte? «Il va falloir diriger les gens, les aiguiller. On ne peut pas les laisser libres d'aller partout, sinon ils vont se retrouver sur les pelouses de tout le monde!», dit M. Martineau.

Cependant, les éventuels pèlerins risquent d'être déçus. Il reste bien peu de traces du jeune Marc Ouellet au village. Sa maison natale n'existe plus, pas plus que l'école de rang qu'il a fréquentée. Quant à l'église Saint-Luc, l'évêché voulait la fermer ou la démolir, en 2001, parce qu'elle était gravement endommagée. La municipalité l'a achetée pour la somme symbolique de 1$, l'a rénovée et transformée en centre communautaire multifonctionnel.

La petite église blanche trône toujours au centre du village. On y célèbre encore des offices religieux - un curé itinérant vient dire la messe toutes les deux semaines -, mais les bancs et les confessionnaux ont été vendus. Le choeur, parfaitement préservé, est masqué par un rideau de lourd tissu doré qu'on soulève lorsqu'on célèbre la messe, des funérailles ou un baptême. Le reste du temps, la salle accueille les métiers à tisser du Cercle des fermières (dans le jubé), des fêtes et aussi des spectacles. Lisa LeBlanc est venue chanter Ma vie c'est d'la marde à La Motte avant que la célébrité ne lui tombe dessus.

Six frères et soeurs de Mgr Ouellet ainsi que sa mère habitent toujours au bord du lac La Motte. «Mais disons que, s'il y avait un circuit touristique, je verrais très mal qu'on en fasse partie. On ne souhaiterait pas ça à notre pire ennemi», dit Roch Ouellet, le frère cadet du cardinal.

Bien sûr, les retombées touristiques de l'élection d'un pape abitibien dépasseraient largement les limites de La Motte. «C'est tout l'Abitibi qui en profiterait!», dit avec enthousiasme Mme Lamarche. Une manne que René Martineau accueille avec réticence: «Les autres villes - Amos, Val-d'Or - vont profiter des retombées touristiques. Mais nous, on va devoir subir tout ce monde-là sans en tirer beaucoup d'avantages.»

Invasion de médias

Il reste que la nomination de Marc Ouellet suscite aussi un grand sentiment de fierté chez plusieurs villageois. «C'est tout un honneur pour La Motte, estime Jeanne-d'Arc Deschamps. Mais si ça arrive, ça va changer complètement le village. Ça l'a déjà changé! Dès l'annonce de la démission du pape, il y avait des médias internationaux ici!»

En effet, depuis deux semaines, le village est devenu un point de mire médiatique. «Dès que la nouvelle est tombée, lundi, le téléphone s'est mis à sonner. On nous demandait des déclarations. Ça sonnait chez ma mère, partout. Il a fallu bâtir un système de protection autour d'elle», souligne Roch Ouellet.

La directrice générale de La Motte, Rachel Cossette, a vu défiler des médias américains, français et canadiens-anglais depuis une semaine. «On a eu Channel 6, NBC Portland, GoodMorningAmerica, à Chicago - eux, ils doivent rappeler. Il y a France 24 qui est venu, le Globe and Mail, le TorontoStar, CTV, énumère-t-elle, une liste à la main. Disons qu'on n'est pas trop habitués. Heureusement que l'agente de développement est bilingue parce que moi, je ne parle pas l'anglais!»

La municipalité a d'ailleurs déjà prévu aménager une salle de presse pour la durée du conclave: le sous-sol du centre communautaire sera réservé aux journalistes. «On ne sait pas trop combien de temps ça va durer, alors on va s'organiser pour offrir de la restauration à tout ce monde-là», explique Mme Cossette.

Les habitants de La Motte attendront donc la fumée blanche du conclave avec inquiétude, mais aussi avec fierté. «Même si ça nous apporte quelques soucis pour aménager notre village, on ne peut pas refuser un tel honneur, dit Lise Breault. Y en a juste un, pape! Et c'est notre petit village qui l'a vu naître! C'est extraordinaire!»

Signe des temps, la chanson On va-tu l'avoir, notre pape? a fait son chemin jusqu'à la radio montréalaise. Danny Twist n'en revient pas lui-même: «Imagine: on a joué à Paul Arcand!»

On prendrait l'eau du lac La Motte pour faire de l'eau bénite/On se partirait une belle grosse shop de saintes Vierges en plastique

On va-tu l'avoir, notre pape, chez nous?/On va-tu l'avoir, notre pape?

La Motte attend les touristes

La Motte, le petit village de 439 habitants, pourrait voir son quotidien bouleversé par le résultat du prochain conclave. Voyez notre vidéo à lapresse.ca/lamotte