Même s'ils ont passé la majeure partie de leur enfance à se faire ballotter d'un foyer de groupe à un centre d'accueil, plusieurs jeunes s'en sortent étonnamment bien. Malgré leur lourd passé, certains arrivent même à atteindre l'excellence et à se tailler une place parmi les meilleurs de leur discipline.

Un des murs de la chambre de Lionel* est tapissé de photos de lui en uniforme de soccer. Une pour chaque année où il a joué dans une équipe organisée.

Depuis sa première partie, il a déménagé au moins trois fois: famille d'accueil, foyer de groupe, centre d'accueil et encore foyer de groupe. Chaque fois, le soccer l'a suivi.

Même si ses parents, qui ont perdu sa garde depuis plus de 10 ans, n'ont jamais été un modèle de persévérance, il n'a jamais abandonné son sport. Et il est bon: niveau AAA avec des joueurs qui ont un an de plus que lui.

À 15 ans, Lionel ne l'avouera pas, mais il rêve de devenir joueur professionnel. «Je l'encourage beaucoup là-dedans», dit son éducateur, Hérold Paul, qui est lui-même entraîneur de soccer.

Au fil des ans, plusieurs intervenants ont soutenu l'adolescent. Il les a perdus de vue chaque fois qu'il a changé de lieu de résidence. Au foyer Lalande, où il s'est installé pour de bon il y a quelques mois, on lui fournit l'équipement et les encouragements dont il a besoin. Et même si personne ne l'y force et que ses parents ne sont pas dans les gradins, il se rend trois fois par semaine sur le terrain après l'école. «Ça me donne un sentiment de liberté, dit-il. Sinon, je me sens toujours enfermé.»

Lionel, fan du footballeur argentin Lionel Messi, n'est pas le seul prodige de la maison. À 16 ans, son voisin de chambre, Alexander*, est devenu l'été dernier l'un des plus jeunes DJ invités au festival d'art urbain Under Pressure, à Montréal. Il a joué ses propres compositions de musique électronique en pleine rue.

De l'espoir

Pour lui aussi, cette passion est une échappatoire. Lui qui n'arrivait pas à prendre le métro à cause d'un sérieux problème d'anxiété, il a diverti une foule. «Il y a quelques années de ça, je n'aurais pas été capable. La musique me fait vraiment du bien. Je ne pense à rien d'autre quand je compose», dit le jeune homme en montrant fièrement la platine que lui a procurée le propriétaire du foyer, Gilles Lalande.

«Quand il est arrivé ici, il y a quatre ans, Alexander ne regardait personne dans les yeux. Il avait peur de tout et ne voulait pas sortir», raconte ce dernier. Durant six mois, des intervenants ont dû l'accompagner à l'école et aller le chercher le soir. Autrement, il n'y allait pas. Aujourd'hui, il espère s'inscrire à un DEP en construction, travailler un peu pour amasser de l'argent, puis s'inscrire à l'institut Trebas pour perfectionner ses notions de disc jockey.

Une autre colocataire, Anastasia*, 17 ans, donne des concerts de clarinette. Elle aussi voit la musique comme une thérapie. Elle répète assidûment et a été acceptée dans le programme de musique à son école secondaire. «Quand elle fait un spectacle, on va la voir. On est là pour l'applaudir», dit l'éducateur Salim Artin.

Apprendre à se débrouiller

Selon lui, il n'y a pas de raison pour que ses jeunes pensionnaires ne connaissent pas le succès. «Ce n'est pas parce que tu as eu des difficultés par le passé que tu n'as pas de potentiel. Si un jeune a un milieu adéquat et des appuis, il peut réussir. C'est vrai qu'ils n'ont pas eu les câlins dont ils avaient besoin quand ils étaient petits, mais aujourd'hui, maintenant, on est là pour eux.»

Alexander est d'accord. Lorsqu'on lui demande s'il aurait été mieux avec sa mère, qui a perdu sa garde à cause de troubles mentaux, il répond sans hésiter que non. «Je la vois de temps en temps. Je ne lui en veux pas. Mais avec elle, je ne serais jamais devenu DJ. Elle ne m'aurait pas payé les cours et tout l'équipement que j'ai ici.»

Évidemment, tous les jeunes ne sortent pas du foyer avec un avenir aussi prometteur. «Pour nous, la réussite ne veut pas dire la même chose que pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Ce qu'on veut, c'est que nos jeunes arrivent à se débrouiller, dit Gilles Lalande. On veut qu'ils aient un toit au-dessus de la tête et qu'ils arrivent à subvenir à leurs besoins. Quand on arrive à ça, c'est déjà une victoire.»

*noms fictifs