La Presse a passé plusieurs jours dans un foyer de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) mis sur pied, en 2009, pour préparer les adolescents qui font l'objet d'un placement jusqu'à leur majorité à voler de leurs propres ailes. À 18 ans, alors que la plupart des jeunes de leur âge restent dans le confort du nid familial, ils sont obligés de faire le grand saut. Pour qu'ils ne se retrouvent pas à la rue avec rien d'autre qu'un sac vert contenant leurs maigres possessions, un nouveau programme des centres jeunesse les aide à devenir quelqu'un.

Jeff Beauger vit à quelques centaines de mètres à peine de la maison où il a grandi. Il y retourne d'ailleurs de temps en temps pour dire bonjour.

«Ici, c'est mon quartier. Je m'y sens bien», dit-il.

Ce quartier, ce n'est pas celui de ses parents, ni de ses grands-parents, ni d'aucun autre membre de sa famille, en fait.

Jeff a passé son adolescence dans un foyer de groupe de la DPJ. Placé en famille d'accueil à l'âge de 8 ans parce que son père était violent et dénigrant, il a été ballotté d'une famille à l'autre avant de tenter un retour infructueux dans sa famille, entre 12 et 14 ans. Il a été l'un des premiers jeunes à bénéficier des nouveaux foyers de préparation à l'autonomie mis sur pied par les centres jeunesse de Montréal. Il y a vécu près de quatre ans. Puis, à 18 ans, en 2011, il a emménagé dans un 31/2 situé tout près. C'est là que nous l'avons rencontré.

Il se faisait cuire des pâtes avant d'aller à son entraînement. Il a découvert la musculation il y a quelques années et s'entraîne au centre où il a commencé, toujours dans le même quartier. À force d'y passer du temps, il a même été embauché comme entraîneur à temps partiel. «Je suis imprimé dans les murs tellement j'y vais souvent», dit-il en riant.

Ambitieux, le jeune homme aujourd'hui âgé de 20 ans souhaite faire carrière dans le dessin animé. Il étudie en arts au cégep du Vieux Montréal. «Avant, je voulais être pompier, mais en discutant avec mon éducateur, au foyer, je me suis rendu compte que ce n'était pas l'emploi pour moi. Je voulais faire ça juste pour glander.»

Figure paternelle

L'éducateur en question, c'est Ted. Comme son ancien protégé, il est d'origine haïtienne. «Quand je suis arrivé au foyer, on a remarqué qu'on se ressemblait et qu'on avait une bonne connexion. Il m'a pris en main et m'a aidé. Je n'ai jamais vraiment eu de figure paternelle et Ted a été celle dont j'avais besoin.»

Deux ans après le départ de Jeff, ils sont toujours en contact. «Quand je suis dans les parages, je passe le voir. Sinon, il m'appelle pour savoir comment je vais.»

Lorsqu'on lui demande ce qu'il pense de son adolescence, il répond qu'il a été chanceux. «Chez moi, je n'étais pas dans une bonne situation. Aujourd'hui, je suis mieux dans ma peau que si j'étais resté. Je sais ce que je vaux.»

Il admet toutefois avoir complètement perdu la fibre familiale. «On dirait que je n'arrive plus à m'intégrer dans une famille. Je ne suis pas à l'aise.» Il ne voit d'ailleurs personne de sa parenté, même éloignée, sauf son frère. Lui aussi a été retiré à ses parents, mais moins longtemps. Ils ont très peu de contact. «Plus jeune, j'attendais que mon père ne soit pas à la maison pour aller le voir en cachette. Mais maintenant, je ne sens pas que j'ai des choses à lui dire.»