Une bataille judiciaire qui s'annonce longue s'est amorcée cette semaine à la cour municipale de Montréal. Les intimés? Plus de 230 personnes arrêtées à Montréal le 15 mars 2011 pour avoir entravé la circulation. L'enjeu? Le droit de manifester qui serait menacé par l'application inappropriée, selon les accusés, d'un article du Code de la sécurité routière.

L'enjeu est de taille pour la Ligue des droits et libertés, qui a tenu à intervenir dans la cause. Selon la Ligue, l'application de l'article 500.1 pendant des manifestations «est une atteinte au droit de manifester», dit la coordonnatrice Nicole Filion. Déjà, la Ligue et les accusés se disent prêts, s'il le faut, à poursuivre leur lutte devant les tribunaux supérieurs pour faire invalider cette application de l'article.

Adopté en 2000, l'article stipule qu'il est interdit d'entraver la circulation au cours d'une action concertée, sauf s'il s'agit d'une manifestation autorisée. La manifestation du 15 mars - une marche annuelle organisée par le Comité opposé à la brutalité policière (COBP) - n'avait pas été officiellement autorisée et, en effet, a entravé la circulation dans le Quartier latin pendant quelques heures. Ce que les accusés ne contestent pas.

Depuis cette manifestation de mars 2011, l'article 500.1 a été utilisé contre d'autres manifestants, notamment à Québec et en Outaouais au printemps dernier. Les contrevenants sont passibles d'une amende variant entre 350 et 1050$ pour une première offense, et jusqu'à 10 500$ pour une deuxième offense. La contestation en cour de l'article n'est pas admissible à l'aide juridique. «On voit que les policiers se servent de plus en plus du Code de la sécurité routière contre les manifestants, dit Nicole Filion. C'est devenu un instrument pour mettre fin à des manifestations par ailleurs pacifiques.»

Même dans le cas où des méfaits sont commis (le 15 mars 2011, des voitures ont été vandalisées et une vitrine a été fracassée), l'utilisation de l'article 500.1 est abusive, dit Mme Filion. «Les policiers ont les moyens d'arrêter les personnes qui commettent des méfaits. Mais ce n'est pas parce qu'il y a des méfaits qu'ils doivent mettre fin à toute la manifestation.»

Manifester et déranger

La Ligue et les accusés entendent démontrer l'importance du droit à la manifestation qui, par définition, doit perturber l'ordre public. «Une manifestation, ça se passe dans la rue», dit Nicole Filion. Hier, la Ligue a présenté à la cour le professeur Marcos Ancelovici, de l'Université McGill, qui a étudié les mouvements sociaux et la mécanique de la manifestation partout dans le monde.

«Il existe peu de modes d'action légaux plus efficaces que la manifestation, a expliqué M. Ancelovici. On fait une manifestation quand on est exclu des canaux institutionnels.» Un individu ou un groupe de pression qui bénéficie d'un accès au pouvoir politique n'aura qu'à passer un coup de fil à un député pour faire entendre son point de vue. Pour les autres, les moyens de se faire entendre pour influencer le débat public sont limités. Le droit de vote et les pétitions, par exemple, ne sont pas toujours suffisants. «On peut ignorer une pétition, mais pas une manifestation qui passe dans la rue, surtout si elle compte beaucoup de personnes.»

«La manifestation, pour être efficace, doit perturber l'ordre public et attirer l'attention des médias, a rappelé le professeur. Une manifestation en banlieue, dans des rues tranquilles, n'aura pas d'impact. Si on ne remarque pas la manifestation, c'est un échec pour les manifestants.»