Les responsables des services de renseignement canadiens n'ont pas tenté d'obtenir plus d'informations de la part d'un espion de la marine qui a admis avoir vendu des secrets militaires à la Russie pendant des années, a déclaré l'avocat du sous-lieutenant Jeffrey Paul Delisle, à la veille du prononcé de sa peine.

Me Mike Taylor dit avoir été renversé par le fait que personne du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), ou de quelque autre agence, n'ait manifesté un intérêt à interroger son client, qui a plaidé coupable à des accusations de transmission d'informations secrètes à des agents russes.

Delisle, âgé de 41 ans, a plaidé coupable en octobre dernier à des accusations de bris de confiance et de transmission d'informations à une entité étrangère qui pourrait nuire aux intérêts canadiens.

Me Taylor affirme que son client n'a été interrogé qu'une fois par la Gendarmerie royale du Canada, en janvier 2012, lorsque l'officier de marine basé à Halifax a confessé ses crimes, et a décrit comment il faisait régulièrement sortir des informations des installations militaires sécurisées où il travaillait et les transmettait aux Russes via un compte courriel conjoint.

Par la suite, aucune autre agence n'a jugé bon de le questionner en attendant le procès, a-t-il ajouté.

Des officiers de la Défense nationale ont refusé de se prononcer sur la question, affirmant uniquement par courriel, jeudi, qu'ils «ne pouvaient pas commenter sur le contenu de l'enquête jusqu'à ce que l'affaire soit conclue».

Une recherche menée grâce à la Loi sur l'accès à l'information n'a pas permis de découvrir des notes d'entrevues ou des rapports d'enquêtes liés à l'affaire Delisle.

Des experts en renseignement suggèrent que l'avocat de Delisle n'a pas été approché parce que des informateurs du gouvernement connaissaient déjà la majorité de ce que l'accusé a divulgué aux Russes après que ce dernier soit entré dans l'ambassade d'Ottawa, en juillet 2007, pour offrir ses services.

Ray Boisvert, l'ancien directeur adjoint du renseignement pour le SCRS, a déclaré que des enquêtes discrètes ont sans doute eu lieu en coulisses, enquêtes qui ont révélé davantage d'informations sur ce que l'espion a divulgué, mais sans toutefois impliquer des discussions directes avec Delisle.

«Parce que rien de tout cela n'est public, ou parce que nous ne connaissons aucun détail, on pourrait avoir l'impression que rien ne s'est passé», a-t-il dit.

«Voyez cela comme la possibilité qu'ils en sachent déjà beaucoup, et qu'ils ne savent pas ce qu'il Delisle pourrait offrir de plus.»

Selon Christian Leuprecht, un expert dans le domaine de la défense, les responsables avaient déjà sans doute une bonne idée des banques de données auxquelles Delisle a eu accès, et du genre d'information qu'il pouvait partager alors qu'il se déplaçait entre différents bureaux à Halifax, Ottawa et Kingston.

La question de l'ampleur des dégâts provoqués par Delisle devrait être l'un des principaux obstacles que devra surmonter le juge Patrick Curran dans sa décision sur la peine infligée, qui sera la première à être prononcée en vertu de la Loi sur la protection de l'information. Cette loi a été proposée en 2001, dans la foulée des attentats terroristes du 11 septembre aux États-Unis.

La Couronne réclame 25 ans de prison pour l'ensemble des accusations; la défense demande entre neuf et 10 ans.

Les deux parties se sont entendues sur une amende de 111 817 $, basée sur le montant d'argent reçu par Delisle de la part de ses patrons russes au fil des ans.

Selon un analyste, des responsables des renseignements américains désirent une peine sévère pour démontrer que le Canada prend la situation au sérieux.