La défense et la Couronne ont présenté des arguments littéralement opposés lors de la première journée de représentations sur sentence relativement au cas de l'officier de la marine Jeffrey Paul Delisle, qui s'est reconnu coupable d'espionnage.

Selon la Couronne, la vente de renseignements aux Russes aurait pu mettre la vie d'agents du service de sécurité canadien en danger. Pour la défense, il s'agit plutôt de préjudice théorique.

Le sous-lieutenant Jeffrey Paul Delisle a reconnu sa culpabilité, en octobre dernier, à des accusations d'abus de confiance et de transmission d'information confidentielle à une entité étrangère, en l'occurrence la Russie. Delisle a reçu tout près de 72 000 $ sur une période de cinq ans pour la vente d'informations secrètes aux services de renseignements russes.

Jeffrey Paul Delisle, 41 ans, faisait partie de l'unité NCSM Trinity de la Marine canadienne, à Halifax. Ce service de sécurité suit le déplacement des bateaux qui entrent dans les eaux canadiennes ou en sortent. L'unité traite aussi des informations provenant d'autres pays de l'OTAN.

L'avocat du sous-lieutenant Delisle, Mike Taylor, a demandé à plusieurs reprises aux témoins de la Couronne de prouver que l'espionnage avait vraiment mis des personnes en danger.

Le seul témoin de la défense, Wesley Wark, un expert en renseignement et sécurité a allégué qu'il serait difficile pour le Renseignement des Forces canadiennes de prouver les dommages causés par Delisle parce que la police n'a réussi à intercepter que deux tentatives de transmission de renseignements.

Il a également déclaré qu'il n'a perçu aucune réaction de la part de la  Russie aux informations transmises par Delisle tout au long de ces années.

«Dans un certain sens, on parle de préjudice théorique, a commenté le professeur Wark qui enseigne à l'Université de Toronto, pour être honnête, il est très difficile de déterminer s'il y a eu dommages ou pas.»

Pour sa part, la directrice générale de la sécurité internationale au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Michelle Tessier, a allégué qu'on avait dû affecter plusieurs ressources du service à ce cas afin de rassurer les pays alliés concernant la sécurité de leurs informations.

Elle a soutenu avoir transigé avec la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Australie qui font partie du groupe des «Cinq yeux» avec le Canada. Mme Tessier n'a toutefois pas élaboré sur les actions posées. Elle a ajouté que les crimes de Delisle pourraient signifier une certaine difficulté pour le Canada à recevoir plus d'informations, et des vies auraient pu être mises en danger.

Ce témoignage contraste toutefois avec la position du gouvernement fédéral. Le ministre de la Défense, Peter MacKay, avait affirmé au début de l'affaire Delisle que cela n'avait pas influencé la relation du Canada avec ses alliés.

Le sous-lieutenant Jeffrey Paul Delisle avait été la première personne au Canada à être accusée en vertu de la Loi sur la protection de l'information, qui a été adoptée par la Chambre des communes après les événements du 11 septembre 2001.

Delisle avait été arrêté en janvier 2012. La procureure de la Couronne, Lyne Décarie, avait dévoilé les grandes lignes de l'affaire, lors d'une audience sur la libération sous caution, le 28 mars. Elle avait alors affirmé que Delisle avait volontairement approché des officiels russes en 2007.

Me Décarie avait lu certaines parties d'une déclaration qu'aurait faite Delisle à la police après son arrestation, le 13 janvier. Elle a indiqué que l'officier de la Marine aurait simplement demandé à parler à un agent de sécurité de l'ambassade russe.

«Je leur ai montré ma carte d'identité et ils m'ont posé un tas de questions, puis ont pris mon nom en note et je suis parti», a lu Me Décarie.

Par son travail, Delisle avait accès à des systèmes sécurisés et non sécurisés du centre qui contenaient des renseignements à propos du Canada et de ses alliés, a déclaré Me Décarie au tribunal.

La plupart des informations qu'il a partagées étaient liées à l'armée, selon Me Décarie.

Il aurait aussi fourni, dans une moindre mesure, des documents sur le crime organisé, sur les acteurs politiques ainsi que la liste de contacts du chef de la Défense, ce que Me Décarie a décrit comme un «organigramme du personnel militaire», avec des adresses courriel et des numéros de téléphone.

La Couronne avait donné un compte rendu détaillé de la façon dont Delisle aurait transmis les informations à partir du centre de renseignement jusqu'à son domicile, puis aux agents russes.

Delisle devait rechercher des références russes sur son ordinateur au centre pour ensuite les transférer sur une clé USB et rapporter le tout à son domicile.

Il devait ensuite fournir les renseignements trouvés aux Russes en les collant dans un programme de messagerie qu'il partageait avec un responsable russe, selon Me Décarie.

Delisle aurait reçu 5000 $ pour les premiers transferts d'information après juillet 2007, puis il aurait obtenu 3000 $ chaque mois.

La Couronne a affirmé que peu de temps après, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a pris le contrôle de la boîte de messagerie que Delisle partageait avec les Russes. À ce moment, Delisle croyait toujours échanger avec un agent russe, alors qu'en réalité, «c'est la GRC qui recevait la correspondance».

Lorsque le dépôt de la preuve de Me Decarie a été complété, le juge a demandé à Jeffrey Paul Delisle s'il reconnaissait les faits déposés devant la cour. Il a répondu par l'affirmative.

Les représentations sur sentence doivent se terminer vendredi.