Le gouvernement Marois a promis jeudi le dépôt «prochain» d'un projet de loi pour créer un registre d'enregistrement des armes à feu exclusivement québécois.

Dans une déclaration en Chambre, à l'occasion du 23e anniversaire de la tuerie de l'École Polytechnique, le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, a exprimé l'intention ferme du gouvernement du Parti québécois de prendre le relais d'Ottawa dans ce dossier.

M. Bergeron n'a pas précisé à quel moment sera déposé le projet de loi, compte tenu de l'appel interjeté par Ottawa qui espère détruire les données du registre canadien.

Le projet de loi, qui constituera l'assise légale du futur registre québécois, est «en préparation», a expliqué le ministre Bergeron en point de presse.

«Il est évident qu'actuellement la cause est devant les tribunaux et nous sommes à évaluer s'il est opportun de déposer le projet de loi avant les plaidoiries au mois de mars ou si nous devons attendre par la suite. Cela dit, nous sommes en discussions avec le ministère de la Justice à cet effet», a-t-il évoqué.

Le 10 septembre dernier, la Cour supérieure du Québec a accordé au gouvernement du Québec une injonction permanente visant à empêcher la destruction des données du registre national des armes longues qui ont été colligées au fil des années dans la province.

Le tribunal ordonnait aussi au gouvernement fédéral de transférer au gouvernement québécois toutes les données du registre canadien concernant le Québec.

Cette décision a cependant été portée en appel et la cause sera entendue par la Cour d'appel en mars prochain. Le Québec y fera «valoir ses droits», a déclaré M. Bergeron.

La mise en place du registre québécois «s'effectuera dès que le gouvernement du Québec obtiendra, du gouvernement fédéral, les données québécoises du registre canadien», a poursuivi le ministre.

En mettant en place son propre système d'enregistrement des armes à feu, le Québec espère prendre le relais du gouvernement fédéral dans le cadre de ses compétences en matière de propriété, de droits civils et d'administration de la justice.

Plus de 1,6 million d'armes à feu sans restriction ont été enregistrées à ce jour par des particuliers au Québec, a rappelé M. Bergeron. Ce nombre représente 94,6 pour cent de toutes les armes à feu enregistrées sur le territoire.

Outre le contrôle des armes à feu, la lutte à la violence conjugale a mobilisé toute une brochette de ministres jeudi lors de la journée de commémoration des étudiantes de Polytechnique tombées sous les balles du tireur Marc Lépine en 1989.

Le «Plan d'action 2012-2017 en matière de violence conjugale» prévoit l'injection de 57 millions $ supplémentaires sur cinq ans dans diverses initiatives -brochures, campagnes de sensibilisation, formation des intervenants - pour combattre les agressions «psychologiques, verbales, physiques, sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique».

Présenté par la première ministre Pauline Marois, entourée de six de ses ministres, le Plan d'action gouvernemental d'une quarantaine de pages comprend 135 mesures dont 35 concernent les nations autochtones. Il comporte quatre axes: la prévention, le dépistage, l'intervention psychosociale et l'intervention policière.

En 2011, selon les données fournies par Québec, 19 000 «actes de violence» ont été commis sur le territoire québécois et dans 8 cas sur 10, ce sont les femmes qui en ont été victimes. Le Plan d'action tient néanmoins compte des hommes violentés, même s'ils sont largement minoritaires dans la colonne des victimes.

«Une attention toute particulière sera apportée à certaines clientèles plus vulnérables: les personnes immigrantes issues des communautés culturelles, les personnes handicapées, les personnes âgées, les personnes des minorités sexuelles et les hommes, qui selon les statistiques de 2011, sont victimes dans environ 19 pour cent des dossiers», a dit le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud.

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La déclaration intégrale du ministre Stéphane Bergeron:

Le 6 décembre 1989 restera à jamais gravé dans notre mémoire collective.

Ce jour-là, en fin d'après-midi, un individu armé fait irruption à l'École polytechnique de Montréal et vise délibérément de jeunes femmes.

Ce jour-là, j'ai perdu une amie, Nathalie Croteau, victime d'une folie meurtrière incompréhensible.  Ce jour-là, la trajectoire prometteuse de 13 autres jeunes femmes a aussi été abruptement interrompue, tandis qu'un nombre équivalent de jeunes femmes subissait des blessures.

Dans les jours suivant ce drame ignoble, le Québec est plongé dans l'incompréhension, le désarroi et la tristesse.

Bien qu'étant moi-même père d'une jeune fille, j'ai peine à imaginer l'ampleur de la douleur que les proches de ces jeunes femmes à l'avenir prometteur ont ressentie.

Les années passent, mais le souvenir lancinant de ce jour fatidique demeure toujours aussi vif.

Chaque année, le 6 décembre, nous rendons hommage aux innocentes victimes de l'École polytechnique à l'occasion de la Journée nationale d'action contre la violence faite aux femmes.

Il paraît qu'à toute chose, malheur est bon, selon ce que dit l'adage populaire.  S'il faut discerner une lueur d'espoir, aussi mince soit-elle, dans cette sombre tragédie, c'est qu'elle a ouvert la voie à une profonde réflexion sur la violence, particulièrement celle faite aux femmes, et sur les façons de la circonscrire, voire de l'éradiquer.

Dès lors, un mouvement de fond s'est développé, autour des proches des victimes de la tuerie de Polytechnique, en faveur  d'un nécessaire contrôle des armes à feu.

C'est cette mobilisation sans précédent qui avait amené le gouvernement fédéral à mettre en place un registre des armes à feu.

Il en a coûté près d'un demi-milliard de dollars aux Québécoises et Québécois pour la constitution de ce registre fédéral des armes à feu.

Depuis 1989, d'autres évènements malheureux impliquant des armes à feu sont venus marquer l'histoire du Québec.

Pensons notamment à la tragédie du Collège Dawson, en 2006, ou, plus récemment encore, à l'attentat du Métropolis, lors du discours de notre première ministre, le 4 septembre dernier.

Nous aspirons toutes et tous à la même chose: un Québec paisible et sécuritaire dans lequel nos enfants pourront grandir et évoluer en toute quiétude.

Pour y parvenir, le Québec croit notamment en un système d'enregistrement des armes à feu, essentiel à l'administration de la justice, au travail des policiers et à la sécurité de la population.

Nous avons le devoir de faire preuve de solidarité pour défendre et promouvoir les valeurs qui nous unissent et qui sont chères.

Or, en dépit des demandes répétées du Québec, qui ont notamment pris la forme de huit motions unanimes de l'Assemblée nationale, à l'effet de maintenir dans son intégralité le Registre canadien des armes à feu, le projet de loi fédéral C-19, sur l'abolition du registre des armes d'épaule, a été sanctionné le 5 avril dernier.

Cette loi visait, d'une part, à mettre fin à l'enregistrement des armes à feu sans restriction et, d'autre part, à procéder à la destruction de tous les fichiers relatifs à ces enregistrements dans le Registre canadien des armes à feu.

Dans ce contexte, le gouvernement du Québec s'est adressé aux tribunaux afin d'obtenir le transfert des données relatives aux armes à feu sans restriction des citoyennes et citoyens du Québec.

Le 10 septembre 2012, un jugement de la Cour supérieure du Québec a rendu inopérante la disposition de Loi sur l'abolition du registre des armes d'épaule qui obligeait la destruction des données concernant l'enregistrement des armes à feu sans restriction.

Étant d'avis que cette disposition empiétait de façon substantielle sur les compétences du Québec, la Cour supérieure ordonnait ainsi au gouvernement fédéral de transférer au gouvernement du Québec toutes les données du Registre canadien des armes à feu concernant le Québec.

Cette décision a cependant été portée en appel, le 9 octobre dernier, par le gouvernement fédéral.  Le dossier sera entendu par la Cour d'appel en mars prochain et le Québec y fera de nouveau valoir ses droits.

L'enregistrement des armes à feu sans restriction constitue un enjeu important pour la société québécoise.

Un tel enregistrement permet d'identifier les armes à feu, de connaître leur présence sur le territoire du Québec.

Il s'agit d'un outil essentiel aux policières et aux policiers dans l'exercice de leurs fonctions, que ce soit lors d'enquêtes et d'interventions ou dans l'exécution des ordonnances des tribunaux interdisant la possession d'armes à feu.

Comme l'avait fait la Première ministre dans le discours inaugural, je confirme que notre gouvernement a la ferme intention de déposer un projet de loi sur l'enregistrement des armes à feu sans restriction au Québec.

Ce projet de loi constituera l'assise légale sur laquelle nous bâtirons un registre québécois des armes à feu, dont la mise en place s'effectuera dès que le gouvernement du Québec obtiendra, du gouvernement fédéral, les données québécoises du Registre canadien des armes à feu.

Le gouvernement du Québec en mettant en place un système québécois d'enregistrement des armes à feu prendra le relais du gouvernement fédéral mais, dans le cadre de l'exercice de nos compétences en matière de propriété, de droits civils et d'administration de la justice.

Je tiens à rappeler que 1 630 066 armes à feu sans restriction ont été enregistrées à ce jour par des particuliers au Québec.

Ce chiffre représente 94,6 % de toutes les armes à feu enregistrées sur le territoire.

Cette position est partagée par les organisations policières du Québec, par plusieurs organismes qui oeuvrent en matière de santé et de sécurité publique, de même que par les familles de victimes des tragédies survenues au Québec, notamment le drame de l'École Polytechnique.

Il s'agit d'une position unanimement défendue, et ce, de façon récurrente, par l'ensemble des membres de cette Assemblée nationale.

Aussi, je suis convaincu que tous nos collègues parlementaires continueront de soutenir la position défendue par le gouvernement devant les tribunaux, visant à permettre  au Québec de poursuivre l'enregistrement des armes à feu sans restriction, qui demeure un enjeu primordial au Québec en matière de sécurité publique et notre gouvernement s'engage à prendre les mesures nécessaires à cette fin.

Merci