Camille est handicapée et, en société, elle dérange. C'est le triste constat que fait sa mère, Valérie Larouche. Camille dérange et, depuis sa naissance, elle vit «dans un ghetto au coeur de Montréal»: «Pour le moindre cours, pour le moindre programme, on est toujours en train de quémander : "Pouvez-vous l'admettre dans votre groupe, s'il vous plaît?"»

En cette Journée internationale des personnes handicapées, Valérie Larouche, qui parle aujourd'hui au nom de tant d'autres parents, n'est pas certaine qu'il y ait grand-chose à fêter, si ce n'est quelques batailles remportées de haute lutte.

Cela fait huit ans que cette maman se débat comme un diable dans l'eau bénite.

Née à Dolbeau, Camille avait à peine quelques heures quand il a fallu la transporter par avion dans un hôpital spécialisé de Québec. Ce qu'elle avait ? Un mal impossible à nommer, mais en résumé, elle avait un peu de tout : problèmes au cerveau et anomalies osseuses, déficience intellectuelle, surdité, difficulté de déglutition, trouble de l'apprentissage et fibromes sur les doigts.

À 8 ans, Camille, qui a la taille d'une enfant de 3 ans, a déjà été vue dans tous les services possibles : en pédopsychiatrie, en physiothérapie, en ergothérapie, en orthophonie, en audiologie, en pédiatrie, en ophtalmologie, en ostéopathie.

Malgré cela, elle conserve tout son mystère. Aujourd'hui comme à sa naissance, personne ne sait combien de temps elle vivra, ni comment, ni ce qu'elle sera capable d'accomplir. «J'ai même entendu des spécialistes me demander si, à force de faire plein de recherches sur l'internet, j'avais réussi à trouver un cas similaire. Les médecins sont tout simplement médusés.»

Comme si les multiples rendez-vous médicaux n'étaient pas suffisants, Valérie doit aussi se battre pour que sa fille ait l'aide spécialisée qu'il lui faut à l'école. De haute lutte, elle a réussi à faire admettre sa fille au service de garde de l'école d'en face, où sa fille est transportée en après-midi losqu'elle quitte son école spécialisée. «À l'école de ma fille, il n'y a pas de service de garde, alors chaque parent doit se débrouiller avec les moyens du bord. Comme si, contrairement à tous les autres parents, nous avions le loisir de ne pas travailler.»

Idem pour les camps d'été, qui coûtent une fortune pour les enfants handicapés.

Des répits ? Pour les parents d'enfants qui ne peuvent pas marcher, il existe certains programmes. Mais Camille marche et, même si le reste ne suit pas très bien, elle a le malheur de ne pas entrer dans la bonne catégorie.

«Encore aujourd'hui, fait remarquer Valérie à regret, il y a les gens, puis il y a les personnes handicapées.»

Dans l'espoir que cela change, Valérie est engagée dans le mouvement PHAS (personnes handicapées pour l'accès aux services). À plusieurs reprises, Valérie, qui élève sa fille seule, a entendu des gens lui demander si elle n'envisageait pas de «placer» Camille. « Jamais cette pensée ne m'a traversé l'esprit. Pas même une seconde. J'aime ma vie... Même s'il m'arrive de la pleurer.»

Plus que tout, Valérie est déterminée à se battre bec et ongles pour donner à sa fille une vie de famille le plus normale possible.

Cette année, pour la première fois, alors que mère et fille parcouraient les Amériques et plus encore en Westfalia, Camille a dit son premier «je t'aime» à sa mère, en langage des signes. « Jamais je n'entendrai quelque chose d'aussi beau dans ma vie. Cela aura germé dans le moins fertile des terreaux, dit Valérie. S'il fallait que j'aille au Costa Rica aller-retour juste pour ça, ça valait la peine. »