Natalia tient amoureusement son fils Mathieu dans ses bras. Elle lui fredonne doucement des comptines en le berçant dans une chambre d'un duplex du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Une couchette est adossée au mur et des jouets jonchent le sol. Mais il ne s'agit pas de la chambre de Mathieu ni même d'une vraie maison.

La résidence appartient au centre jeunesse de Montréal. On y évalue les capacités des parents montréalais qui ont fait l'objet d'un signalement pour mauvais traitements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Durant quelques heures, cet après-midi-là, une psychoéducatrice, Diane Germain, observe attentivement tous les gestes de Natalia et de son fils.

Natalia a volontairement cédé la garde de son enfant à ses beaux-parents quelques jours après sa naissance. Mais elle ne se souvient pas de lui avoir fait mal.

«Je me suis souvent demandé: «mais qu'est-ce que tu as fait? As-tu fait quelque chose de vraiment mal? As-tu secoué ton enfant pour de vrai? Je ne pourrais pas vous le dire»».

Natalia a reçu un diagnostic de trouble de la personnalité limite et de trouble de la personnalité schizotypique. Elle est suivie en psychologie et en psychiatrie depuis près de 20 ans. Elle a eu 10 psychologues au cours de sa vie.

Les médecins spécialisés en maltraitance et les intervenants de la DPJ tracent un lien entre les problèmes de santé mentale et la hausse des signalements d'enfants battus à la DPJ.

Depuis un an, le nombre de signalements de mauvais traitements retenus a bondi de 10% au Québec. À Montréal, pas moins de 1209 signalements ont été retenus cette année sur le territoire, un record historique. Ce sont donc 1209 parents qui, comme Natalia, ont passé la porte du Centre d'évaluation des capacités parentales dans la dernière année.

Peur de rester seule

Cinq jours après l'accouchement de Natalia, son mari est retourné au travail. Elle s'est retrouvée seule avec son fils.

«Chaque fois qu'il avait les yeux fermés, ça m'énervait, ça m'agressait. À un moment donné, il était vraiment sage et je me suis sentie jalouse de lui, tellement jalouse que je ne le sentais plus en sécurité dans mes mains. Je l'ai mis dans son lit et je suis sortie de la pièce. J'ai pris le premier objet que j'ai pu trouver dans mes mains et je l'ai lancé à travers la pièce. À ce moment-là, j'ai pensé: il y a quelque chose qui ne marche pas, mais quoi? «

«J'étais énormément fatiguée, se remémore-t-elle. J'avais du mal à m'adapter au changement. Dès que je suis rentrée chez nous, je suis devenue anxieuse. Je me suis dit: Hein? Je vais être toute seule à la maison avec un bébé? «

Une nuit, son fils s'est mis à pleurer pour être allaité.

«Mon mari m'a réveillée. J'étais carrément surprise, sous le choc. Je suis dit: J'ai un bébé, moi? Je suis sortie de la chambre, j'ai pris une chaise et je l'ai balancée jusqu'à la casser. Puis je suis allée dans la cuisine casser une porte d'armoire et je me suis effondrée en larmes. Mon mari ne comprenait rien. La voisine est venue frapper à la porte. Elle m'a aidée à me calmer pour que je puisse donner à boire au bébé. C'est comme si j'avais complètement oublié la fonctionnalité d'un enfant, comment le mettre au sein. Et ce n'est pas parce que je ne savais pas comment. J'avais suivi des cours d'allaitement.»

Quelques jours plus tard, Natalia raconte cette histoire à une infirmière en visite post-partum. «J'ai été vraiment transparente, je lui ai raconté que j'avais peur d'être seule avec Mathieu.»

L'infirmière a fait un signalement à la DPJ.

«Quand l'intervenante de la DPJ s'est présentée chez moi, j'avais mon manteau sur le dos. Elle pensait que je sortais et que je laissais le petit tout seul parce qu'il était dans sa poussette en petite camisole, les jambes à l'air. Je n'avais pas pensé lui mettre son habit d'hiver.»

L'intervenante a examiné l'enfant et a noté des marques et des bleus sur son petit corps. «Je me suis dit: D'où est-ce que ça sort? «

L'intervenante a mis le bébé dans le siège d'auto de sa voiture. Natalia et son mari l'ont suivie jusqu'à l'hôpital Sainte-Justine.

«Arrivés à l'hôpital, on se demandait: Qu'est-ce qui se passe? On n'avait pas beaucoup d'information. On était bousculés d'un bord et de l'autre. Le médecin et les infirmières examinaient Mathieu et ils parlaient tout bas. Ils chuchotaient: Bébé secoué, bébé secoué.»

Les examens médicaux ont révélé la présence de sang dans une bosse sur la tête du bébé.

«Ils ont fait une batterie de tests pour voir si les organes internes avaient été trop serrés», raconte-t-elle.

À sa sortie de l'hôpital, Mathieu a été confié à ses grands-parents. Natalia peut voir son fils sous la supervision de sa belle-mère ou d'une intervenante du centre jeunesse. Dans certaines situations exceptionnelles, elle peut le voir seule avec son mari. Avec le temps, les dispositions de la garde pourraient être modifiées.

Natalia repense souvent à cet épisode. «D'avoir des trous de mémoire, c'est sûr que ça me fait peur.»

Elle a craint encore de se retrouver seule avec son fils. «Il aurait pu arriver une situation grave et ça, je ne me l'enlève pas de la tête.»

C'est la fin de la troisième rencontre au Centre d'évaluation des capacités parentales. Diane Germain décide de donner à Natalia les résultats de son évaluation.

Le test du développement a été très positif. L'enfant n'a pas jusqu'à présent de retard de développement. Il obtient la note de 86% pour son développement cognitivo-langagier, 92% pour ses capacités motrices et 100% pour son développement socioaffectif.

«Ça, Natalia, ça veut dire que la situation, jusqu'ici, n'a pas eu d'effet grave sur son développement. C'est quelque chose de positif à travers cette situation dramatique», explique Diane Germain.

Natalia se met à pleurer. «Je suis contente. Ça fait vraiment du bien d'entendre ça.»

«Quand je suis arrivée avec Natalia, j'ai vu qu'elle était envahie par ses émotions, qu'elle se sentait très coupable de ce qui aurait pu arriver, explique l'intervenante. On ne sait pas si c'est arrivé ou pas, car il y a des trous de mémoire. En même temps, il fallait assurer la sécurité du bébé. Natalia comprenait ça et le comprend encore. L'arrivée de la DPJ est difficile à accepter, mais le premier but c'est de travailler avec les parents pour que ça aille mieux avec leurs enfants», explique Diane Germain.

«Natalia, tu as de belles forces comme maman, ajoute-t-elle à la fin de l'évaluation. Tu es stimulante et, lorsque tu es calme et bien reposée, tu es capable de bien répondre aux besoins de base du bébé.

- Mais je suis fragile, répond Natalia. Et quand ça devient plus difficile, je pleure et j'ai besoin d'aide parce que c'est moi qui deviens le bébé.»