L'affaire semble tirée d'un roman d'espionnage. Au terme d'une longue enquête du FBI et des douaniers américains, le géant longueuillois Pratt & Whitney du Canada (P&WC) s'est avoué coupable, hier, d'une série de crimes pour son rôle dans la mise au point d'une redoutable machine de guerre de l'armée chinoise.

L'aide québécoise à la production de l'hélicoptère d'attaque Z-10 a donné lieu à des exportations illégales de technologie militaire et à des mensonges dans des déclarations au gouvernement, selon les documents judiciaires dévoilés hier.

Ces infractions auront de lourdes implications géostratégiques, selon les autorités américaines, qui accusent P&WC d'avoir affaibli la position de l'armée américaine concernant les Chinois par appât du gain.

«Ce cas est un exemple clair de la façon dont l'exportation de technologie sensible réduit l'avantage qu'ont présentement nos forces armées», a déploré John Morton, le patron de l'Agence fédérale des enquêtes douanières américaine.

En plaidant coupable devant la justice américaine, P&WC s'est engagée, de concert avec sa maison mère, le conglomérat américain United Technologies Corporation (UTC), à payer 75 millions au Trésor américain. Elle devra aussi retenir les services d'un surveillant indépendant, qui s'assurera pour les deux prochaines années qu'elle n'enfreindra plus l'embargo américain sur les ventes d'armes à la Chine qui a été imposé après le massacre de Tiananmen, en 1989.

Embargo violé

Après l'imposition de l'embargo par les États-Unis et d'autres pays vers 1990, la Chine a tenté de camoufler son projet d'hélicoptère de combat derrière un volet civil, afin de pouvoir continuer à recevoir l'assistance d'entreprises occidentales, selon les autorités américaines.

P&WC a obtenu le droit d'exporter des moteurs d'hélicoptères pour la réalisation du projet, en faisant valoir le volet civil de la chose.

Mais le logiciel de contrôle du moteur, développé par HSC, une filiale américaine de UTC, avait pour sa part été configuré pour des usages spécifiquement militaires.

Entre 2003 et 2005, P&WC a fourni illégalement plusieurs versions du logiciel aux développeurs chinois.

Selon le volumineux exposé des faits déposé au tribunal, les dirigeants québécois savaient que la composante militaire était au coeur même du projet. Les enquêteurs américains ont saisi des courriels d'employés de Pratt and Whitney Canada remontant à l'année 2000, dans lesquels il était déjà question de «discussions» en vue de fournir des moteurs pour «l'hélicoptère chinois d'attaque Z-10».

Tous les employés de l'entreprise n'étaient évidemment pas au courant qu'ils collaboraient à un projet militaire. Deux ingénieurs montréalais de P&WC ont raconté aux enquêteurs qu'ils s'étaient rendus en mars 2003 à Jingdezhen, en Chine, pour voir un prototype d'hélicoptère.

Ils disent avoir été surpris de voir un appareil à deux places seulement, équipé de moteurs Pratt & Whitney et de répliques d'armements.

Lorsqu'ils avaient demandé à leurs hôtes chinois où étaient les dix autres sièges pour passagers, ils avaient obtenu des ricanements en guise de réponse.

Toujours selon la preuve, c'est une ONG spécialisée dans les placements éthiques qui a bousculé les choses chez le conglomérat UTC en 2006. L'ONG avait averti l'entreprise que des informations la reliaient à une possible violation de l'embargo. L'organisme disait faire enquête. Si c'était le cas, il recommanderait au public de ne pas investir dans UTC.

Déclaration mensongère

L'entreprise a décidé de faire une déclaration volontaire au gouvernement américain sur l'exportation des logiciels par P&WC. Elle prétextait toutefois que tout le monde avait appris sur le tard que le projet impliquait la construction d'un hélicoptère militaire.

L'enquête des douaniers et de la police fédérale américaine allait prouver le contraire, grâce à plusieurs interrogatoires et à des saisies de courriels. Au moins un ancien cadre de la filiale américaine a collaboré avec la justice en montrant du doigt les Canadiens de P&WC.

Le FBI a prévenu hier qu'il demeurera vigilant pour empêcher toute répétition de l'épisode du Z-10. «Les violations de la Loi sur le contrôle des exportations d'armes mettent notre pays à risque, et le FBI s'engage à s'assurer que les technologies faisant l'objet d'un embargo ne tombent pas entre de mauvaises mains», a déclaré l'agent spécial Kimberly K. Mertz.

Ottawa s'est fait plus laconique. «L'entreprise en question a plaidé coupable dans cette affaire. Les entreprises canadiennes doivent se conformer pleinement aux lois canadiennes de contrôles à l'exportation», a déclaré un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

Pour Michel Juneau-Katsuya, ancien cadre du Service canadien de renseignement de sécurité, l'affaire risque d'avoir un impact sur la perception du Canada par ses alliés.

«Au nom du commerce, du profit, de la business, on va beaucoup trop loin. On est en train de jouer un jeu qui peut nous amener à être considérés comme des traîtres par certains alliés», déplore-t-il.