En cette Journée mondiale de soutien aux victimes de la torture, La Presse raconte un moment tragique dans la vie de Rose (1), sa fuite hors de son pays, puis sa reconstruction au Québec, avec l'aide de sa thérapeute. Rose a voulu témoigner, car le type de soins dont a elle bénéficié, à titre de revendicatrice du statut de réfugié, est sur le point d'être aboli par le gouvernement conservateur.

Quand la travailleuse sociale Marie-Hélène Paquin a rencontré Rose pour la première fois, la jeune femme avait l'habitude de se terrer sous son lit. Elle n'arrivait pas à sortir seule de son appartement, hantée par les images d'un séjour de trois mois dans une prison souterraine de Kinsasha, en République démocratique du Congo (RDC).

«Sérieusement, je ne sais pas ce que j'aurais fait sans Marie-Hélène, dit Rose. Sans elle, je ne serai pas... je lui dis tout le temps. Pour moi, c'est comme un ange», a dit la jeune femme, au cours d'un entretien avec La Presse.

Dans son pays, les prisons clandestines, outil des dictatures qui se succèdent, sont invisibles aux yeux de la population.

«Les gens ne savent plus si c'est une légende urbaine, parce que de l'extérieur, c'est une résidence de gens riches, c'est très joli. Mais dans les sous-sols, ce sont des prisons absolument infâmes. Les gens qui y croient sont ceux qui en sont revenus», affirme Rose.

La femme de 38 ans a été arrêtée au début de l'automne 2010 par des militaires lors d'une marche de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti d'opposition historique. Il a été fondé par Étienne Tshisekedi, célèbre opposant au général Mobutu, puis à la famille Kabila, au pouvoir depuis 1997.

Rose savait les risques qu'elle prenait. Elle avait déjà vu des gens se faire arrêter et «cogner» lors de manifestations. Mais, selon elle, «si on ne se lève pas, les choses ne vont jamais changer».

Plusieurs personnes ont été arrêtées en même temps qu'elle. Un camion les a transportées en direction d'une prison officielle. La nuit suivante, elle a été transférée dans les caves d'une résidence de luxe, un peu à l'extérieur de la ville.

«On peut disparaître»

«Quand on est dans une prison normale, il y a toujours l'espoir qu'on peut sortir. Mais quand on est transféré dans une prison souterraine, là c'est grave, on peut être tué, on peut disparaître», explique Rose.

La jeune femme est assise dans le bureau de la travailleuse sociale Marie-Hélène Paquin, à Montréal. Elle parle vite, s'arrête parfois, des images défilent dans sa tête. Après plus d'une demi-heure d'entrevue, elle évoque avec peine ce qu'elle a vécu dans les bas-fonds de sa ville natale. Elle ne quitte pas des yeux la thérapeute, postée en face d'elle, qui l'encourage d'un regard amical et rassurant.

Rose était dans la section des femmes. Celle des hommes n'était bien pas loin, car elle entendait les cris des gens que l'on battait. Elle aussi a été battue et torturée. Elle n'a toutefois pas été violée.

«Dès que je suis arrivée, j'ai dit que j'avais le sida, même si ce n'était pas vrai. Le sida, c'est comme la peste.» C'est une chose que sa mère lui avait conseillé de dire, après que des militaires l'eurent violée au moment où elle rentrait de l'église, en 2007. «Il y a des abominations qui se passent dans mon pays, mais ce sont des choses dont on ne parle pas. Ça reste entre les femmes», murmure-t-elle.

Le flux de paroles de Rose est entrecoupé de pleurs. «Nous étions traités comme des animaux. Je n'ai pas été violée, mais les filles qui étaient avec moi dans la cellule... L'odeur... [Elle éclate en sanglots.] On n'avait pas à se parler, on savait ce qui s'était passé.» Rose s'arrête. Raconter ces souvenirs lui fait revivre des moments douloureux. L'atmosphère est lourde. La peur se voit sur son visage. Elle commence tout juste à apprivoiser son passé et ça, elle le doit à sa thérapeute, Marie-Claude Paquin, affirme Rose.

Quand les souvenirs sont trop présents, Mme Paquin prend la parole, explique ce que Rose a vécu et le travail qu'elles ont fait ensemble. Sa patiente reprend des forces, sèche ses yeux et acquiesce.

«Dans la prison souterraine, j'ai eu beaucoup de chance, je peux le dire. C'est drôle, avant, je n'étais pas capable d'en parler. C'est un des miracles que Marie-Hélène a faits.» Ses larmes coulent toutes seules, elle s'excuse.

Rose a demandé l'asile au Canada il y a un an. Récemment, elle a obtenu son processus accéléré auprès des services de l'immigration du Canada. Elle sait à présent qu'elle ne sera pas renvoyée en RDC. Là-bas, on continue de la chercher. Ses parents se font persécuter.

Rose est issue d'une famille de riches propriétaires terriens. C'est un oncle qui a réussi à l'extirper de son cachot, en soudoyant des militaires pour la retrouver, puis pour la libérer au milieu de la nuit. Il l'a ensuite cachée plusieurs mois chez lui, avant de trouver un moyen de la faire sortir du pays.

Reconstruire sa vie

Pas à pas, la travailleuse sociale spécialisée dans l'accompagnement des demandeurs d'asile aide Rose à reconstruire sa vie dans la métropole québécoise. Depuis huit mois, elles se rencontrent chaque semaine pendant une heure.

Lorsqu'elle l'a vue pour la première fois, Rose ne pouvait pas sortir seule, elle souffrait d'hypervigilance pathologique. «Ç'a été notre premier objectif: qu'elle puisse commencer à sortir tranquillement toute seule. Ça a pris trois rencontres», raconte Mme Paquin.

«Je n'arrivais pas à fonctionner, j'avais tout le temps peur. Quand je voyais un homme, surtout quand c'était la police, je paniquais», explique Rose.

C'est un médecin du Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile (PRAIDA) qui a proposé que Rose suive une thérapie. Le Réseau d'intervention auprès des personnes ayant subi la violence organisée (RIVO) a pris le relais et l'a mise en contact avec l'une de ses membres.

Rose est probablement l'une des dernières clientes réfugiées de Marie-Hélène Paquin. En 2011, Ottawa avait déjà décidé de ne plus rembourser les services offerts par des travailleurs sociaux. Mme Paquin a donc suivi sa patiente bénévolement, le temps qu'elle termine sa thérapie. «D'un point de vue humain, on ne peut pas laisser tomber la personne», dit-elle.

(1) - Nom fictif pour protéger son identité.