Prendre un avion pour New York est moins compliqué que de visiter une porcherie québécoise. Les mesures de biosécurité en vigueur obligent à prendre une douche - shampoing compris - dans le vestibule du bâtiment avant d'apercevoir le moindre groin.

Pas question de remettre les vêtements que l'on portait dehors: on doit enfiler une combinaison lavée sur place - les porcheries sont dotées de buanderies! «On veut éviter toute contamination», explique David Boissonneault, 36 ans, président de la Fédération des producteurs de porcs du Québec (FPPQ).

Le sympathique gaillard est un éleveur déterminé. Il a fondé la ferme La Rochonnerie à tout juste 18 ans, avec un de ses frères. À Saint-Louis-de-Blandford, dans le Centre-du-Québec, leur porcherie compte 3600 porcs: 340 truies reproductrices, 1000 porcelets en pouponnière et 2200 cochons en engraissement.

Premier choc, outre l'odeur du lisier qui saute au nez: les truies gestantes sont énormes. «Elles pèsent de 400 à 800 livres», indique M. Boissonneault. Très propres, les belles bêtes sont gardées dans des cages de gestation dont la largeur minimale varie, au Canada, de 55 cm à 70 cm.

En Europe, le confinement permanent des truies sera banni à compter du 1er janvier prochain. «Les cages sont tellement petites que les truies ne peuvent pas se retourner pendant leurs quatre mois de gestation», dénonce Sayara Thurston, militante à la Humane Society International du Canada.

En effet: les truies peuvent se coucher et se relever, mais ne peuvent pas faire le moindre pas. Une semaine avant la naissance prévue de leur portée, elles ont une brève occasion de se déplacer, vers d'autres cages, dites de mise bas. Ces cages sont doubles: une petite section est réservée à la mère et l'autre, plus grande, aux porcelets.

Mettre fin aux bagarres

«Quand on dit qu'il y a de la cruauté dans les élevages, je trouve ça extrémiste, se défend M. Boissonneault. Il y a 20 ans, toutes les truies étaient en parc [NDLR: de grandes cages collectives]. On les a mises en cage parce qu'il y avait des bagarres et que des petits étaient écrasés par leur mère. Le défi du bien-être animal, il faut s'y attarder, mais rationnellement.»

D'autres pratiques d'élevage sont décriées, comme celle qui consiste à couper les huit dents des porcelets, pour éviter les blessures aux tétines des truies. «Je ne le fais plus, mais ça se fait dans d'autres fermes, où les truies sont nerveuses», dit l'éleveur.

M. Boissonneault continue d'écourter la queue des porcelets et de les castrer, à froid. «On leur coupe la queue à la naissance, pour éviter le cannibalisme, indique-t-il. La moitié a une réaction, les autres non. On ôte aussi les testicules des mâles à trois jours, pour répondre à la demande des consommateurs, qui ne veulent pas une viande qui sent la testostérone. Mais ce serait plus économique pour nous de ne pas le faire puisque les cochons grossiraient plus vite.»

«Je considère qu'ils sont heureux»

Quand ils atteignent 21 jours, les porcelets sont mis dans de grandes cages collectives jusqu'à ce qu'ils soient assez gros pour l'abattage. Ils ne vont jamais dehors. «Ça garantit une viande plus salubre puisqu'ils ne sont pas en contact avec des vers», souligne l'éleveur.

Les porcs ont une bonne vie à La Ronchonnerie, selon lui: ils ont une alimentation adaptée à leurs besoins, de l'eau à volonté. La ventilation est efficace et le troupeau n'est jamais malade. «Je considère qu'ils sont heureux, souligne M. Boissonneault. Mais je ne dis pas que c'est parfait, on peut toujours s'améliorer.» Preuve de leur bonne volonté, tous les producteurs du Québec seront bientôt conformes au programme Bien-être animal du Conseil canadien du porc.

Une version révisée du code canadien de pratiques d'élevage porcin est également attendue à l'été 2013. Le Conseil national pour les soins aux animaux d'élevage, qui produit ce code, examine en priorité le contrôle de la douleur lors de la castration, l'espace dont dispose chaque bête et le logement des truies.

Mais alors que les producteurs traversent l'une des pires crises de leur histoire, les modifications ne pourront se faire rapidement, avertit Nathalie Hansen, directrice des communications de la FPPQ. «Il va falloir qu'il y ait du soutien financier et qu'on prévoie les changements à l'avance», plaide-t-elle.

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PRATIQUES CRITIQUÉES

1) Cages de gestation pour truies

Ces cages étroites ne permettent pas aux truies d'avancer, de reculer ou de se retourner. Environ 97% des truies québécoises y passent une centaine de jours avant d'être placées dans des cages de mise bas pour une trentaine de jours. Le confinement permanent des truies sera interdit en Europe à compter du 1er janvier 2013.

2) Taille des dents des porcelets

Pour réduire les blessures aux tétines de la truie et aux autres porcelets, la taille des dents est pratiquée peu après la naissance. Pas dans tous les élevages. Autorisé par le programme Bien-être animal 2011 du Conseil canadien du porc.

3) Taille de la queue des porcelets

Pour éviter que les porcelets ne se mordent la queue entre eux, on la leur coupe, à froid. Cette pratique «est à éviter, dans la mesure du possible», précise le programme Bien-être animal 2011.

4) Castration des mâles sans anesthésie

Mis à part l'Angleterre, l'Espagne, le Portugal et la Grèce, presque tous les pays castrent les porcs pour que la viande n'ait pas d'odeur sexuelle. Au Canada, c'est fait sans anesthésie.

5) Usage du bâton électrique

Pour déplacer les porcs, le bâton électrique «ne doit être utilisé qu'en dernier recours», indique le programme Bien-être animal 2011. Il est «inacceptable de l'utiliser sur des parties sensibles, comme le nez, les yeux, la vulve, l'anus et les testicules».