Intimidation, travail au noir et infiltration de la mafia sont les préoccupations de l'heure dans l'industrie de la construction. Et pourtant, tandis que les chantiers se multiplient, le nombre d'enquêtes et d'inspections menées par la Commission de la construction du Québec (CCQ) connaît une baisse spectaculaire et constante, tout comme le nombre d'infractions relevées, a appris La Presse. À qui la faute? Employeur et syndicat se renvoient la balle. Il reste que le problème pourrait s'aggraver avec la prolifération des importants travaux d'infrastructure.

Les données communiquées par la Commission de la construction du Québec en vertu de la Loi sur l'accès à l'information sont sans équivoque.

En 2005, on a comptabilisé près de 39 000 enquêtes et inspections sur les chantiers. D'année en année, ce chiffre a plongé, pour se retrouver à 32 500 en 2011. Autre donnée préoccupante, le nombre de visites quotidiennes de chantier par inspecteur a connu une baisse notable en 2011 après plusieurs années de stabilité. Enfin, le nombre d'infractions constatées en 2011 est aussi plus bas que lors des années précédentes, après un sommet atteint en 2005, selon ce qui est indiqué dans le dernier rapport annuel de l'organisme.

Or, c'est justement en 2011 que les maux qui gangrènent l'industrie ont fait la une et conduit à la création de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et de la commission Charbonneau. Dans un sondage rendu public cette année-là par la CCQ, le quart des travailleurs et employeurs ont d'ailleurs affirmé avoir été témoins de pratiques illégales.

La CCQ compte près de 300 employés investis de pouvoirs d'enquête. Ce sont ces policiers de la construction, dirigés par Richard Massé, qui inspectent les chantiers à la recherche de travailleurs sans cartes de compétence, d'heures non déclarées ou pour débusquer les gros bras. Des visites qui tournent parfois au vinaigre comme en témoignent des vidéos sur YouTube.

Une quarantaine de ces enquêteurs sont intégrés à la nouvelle «escouade tactique». Créée en 2010, elle se concentre sur l'infiltration du crime organisé, la fausse facturation et le blanchiment d'argent.

Alors, que se passe-t-il? Ces enquêteurs sont-ils assez nombreux? Est-ce un problème organisationnel récurrent ou la conséquence de l'agitation syndicale qui paralyserait en partie le système?

Trop de grands chantiers

Au bureau de Diane Lemieux, PDG de l'organisme de la CCQ, on avance plusieurs explications.

En premier lieu, la multiplication des grands chantiers d'infrastructures qui nécessitent des «visites plus longues», fait remarquer son conseiller Louis-Pascal Cyr.

Le pire serait donc à venir à Montréal, avec les deux très grands chantiers du CHUM et du CUSM et les 1355 autres programmés, dont celui de l'échangeur Turcot. Même situation à Québec, où les cônes orange vont pulluler. Sans oublier le Plan Nord.

On blâme aussi la détérioration des relations de travail qui a «un impact indéniable», concède Louis-Pascal Cyr. Les enquêteurs sont depuis quelques mois l'enjeu d'une bataille qui oppose leur syndicat, le SEPB, affilié à la FTQ, à la direction de la CCQ à cause notamment de la décision de la Commission de vérifier leurs antécédents judiciaires et leur vulnérabilité financière.

À cela s'ajoute la grève des heures supplémentaires de tout le personnel, le printemps et l'été derniers. Or, ce sont les enquêteurs qui en font le plus afin de pouvoir frapper sur les chantiers le soir et les fins de semaine.

Enfin, il y a aussi la vague de départs à la retraite anticipés qui touche la CCQ depuis novembre, comme l'a relaté La Presse il y a quelques jours. Déjà, 63 employés ont quitté la Commision et près de 90 autres seraient sur le point de le faire. Un grand nombre d'enquêteurs figurent parmi ces «démissionnaires» inquiets des rumeurs selon lesquelles un régime minceur serait bientôt imposé à leur régime de retraite. Dans ce cas, l'impact devrait surtout se faire sentir cette année.

Avenir sombre

Serge Cadieux, président national du SEPB, montre du doigt le manque de personnel. «Pourquoi ce serait de notre faute? Le gouvernement Charest a mis tous ses oeufs dans le même panier de la CCQ en lui confiant beaucoup de mandats, mais ses effectifs n'ont pas augmenté depuis des lustres.» Il révèle que seuls 120 des 300 enquêteurs agissent sur le terrain, pour tout le Québec.

La tâche est d'autant plus lourde, dit-il, que les «méthodes d'enquête qui ont été raffinées et approfondies nécessitent plus de travail».

Le chef syndical n'est pas optimiste. L'accroissement du nombre de chantiers de grande ampleur ne va pas aider la situation, dit-il. Et c'est sans compter la menace de lock-out qui plane à la CCQ.

Au cabinet de la ministre du Travail Lise Thériault, qui a fait de l'assainissement de l'industrie de la construction sa priorité, on dit «avoir confiance en Diane Lemieux et en son jugement». «Elle a toute la latitude budgétaire pour engager des effectifs supplémentaires et c'est sa prérogative», indique Charles Robert, attaché de presse de la ministre.

Petite lueur positive, le nombre de chantiers où la CCQ a relevé au moins une infraction a légèrement crû de 0,4% entre 2010 et 2011.

- Avec William Leclerc

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Débrayages illégaux: pluie de plaintes

Les débrayages illégaux survenus l'automne dernier au plus fort du bras de fer entre les syndicats (FTQ-Construction et FPMC-I) et le gouvernement à propos de la réforme du placement syndical (projet de loi 33) ont généré 403 plaintes à la CCQ, indique Louis-Pascal Cyr, conseiller de Diane Lemieux, PDG de la Commission.

Plusieurs débordements et actes de violence ont eu lieu sur les chantiers lors de ce mouvement de protestation, dont certains assez graves. On se rappellera ces deux scaphandriers dont les tuyaux d'alimentation en oxygène ont été coupés par des manifestants pendant qu'ils travaillaient sous l'eau, dans le fleuve Saint-Laurent.

Selon le décompte le plus récent, ces plaintes concernent 298 chantiers.

Depuis, la CCQ a envoyé 179 recommandations de poursuite au Directeur des poursuites criminelles et pénales. Jusqu'à maintenant, 46 constats d'infraction ont été remis et 136 dossiers sont toujours en analyse.