Tous les Québécois profiteront du Plan Nord, a déclaré Jean Charest en mai dernier. Ce plan englobe notamment la construction de quatre complexes hydroélectriques sur la Romaine. Certains Québécois en profiteront beaucoup: c'est le cas d'entrepreneurs blancs qui se sont associés à des Innus pour bénéficier de deux contrats de 35 millions de dollars accordés sans appel d'offres et selon des conditions tenues secrètes.

Mais les Innus, divisés et n'ayant toujours pas signé de traité avec le Québec, ne profitent, pour le moment, que très peu de cette manne. À tel point que le député fédéral innu Jonathan Genest-Jourdain ne croit pas que ce type de développement puisse créer des emplois à long terme pour les autochtones.

En vertu d'une entente secrète, Hydro-Québec a accordé deux contrats de gré à gré à la société en commandite Produits forestiers innus. Le premier (en 2009), d'une valeur de 1 million de dollars, pour couper les arbres sur la future ligne électrique de la centrale La Romaine-1. Le deuxième (en 2010), de 34 millions, pour déboiser les zones qui seront inondées par le réservoir de La Romaine-2.

Le conseil de la nation innue de Nutashkuan, communauté autochtone située à 150 km à l'est de la rivière Romaine, sur la Basse-Côte-Nord, détient 51% de la société en commandite. Environ le tiers des quelque 60 travailleurs forestiers sont Innus.

Le groupe Rémabec, géant de la foresterie établi à La Tuque, en Mauricie, possède 49% des actions de la société en commandite. Plus on avance dans la chaîne de production, moins on trouve d'Innus.

Quelque 330 000 mètres cubes de billots seront envoyés à la scierie de Rivière-Saint-Jean, qui appartient aux trois quarts à Rémabec, et au quart aux Innus de Nutashkuan. De façon exceptionnelle, aucun droit de coupe ne sera versé à l'État, indique Hydro-Québec. Fait à noter, lorsqu'on téléphone à Produits forestiers innus, on aboutit à cette même scierie.

Le bois scié sera ensuite vendu à la Chine ou à l'Arabie saoudite par l'entremise d'un grossiste, Boscus, a déjà indiqué un vice-président de Rémabec à Radio-Canada. Selon les sources du milieu, le prix peut atteindre 195$ le mètre cube, ce qui signifierait alors des revenus bruts de 64 millions de dollars.

Rémabec est dirigée par Réjean Paré, Roger Tremblay et Éric Bouchard. Ces trois administrateurs ont versé près de 18 000$ à la caisse du PLQ depuis 2006, selon le Directeur général des élections. Ils ont aussi contribué occasionnellement et dans une moindre mesure au PQ.

Rémabec a acheté la scierie de Rivière-Saint-Jean en octobre 2008, un an avant la signature du premier contrat de déboisement avec Hydro-Québec. Aucun ouvrier de la scierie n'est Innu, même si la communauté autochtone de Mingan (Ekuanitshit) se trouve juste à côté.

Deux mois plus tôt, la société Produits forestiers Arbec a acheté la moitié des actions de Rémabec, devenant ainsi son principal actionnaire. Arbec, qui possède une usine à Port-Cartier, appartient à Jolina inc., société de portefeuille de la famille Saputo. Jolina et un membre du CA de Saputo sont également deux des trois actionnaires du grossiste Boscus, qui vendra le bois.

Pourquoi Hydro-Québec n'a-t-elle pas lancé d'appel d'offres avant d'accorder deux contrats de 35 millions de dollars? La porte-parole de la société d'État, Marie-Élaine Devault, a expliqué que les contrats de gré à gré sont le fruit d'ententes «de partenariat d'affaires».

Ces partenariats «permettent à des entreprises innues d'avoir accès à des contrats qui, en d'autres temps, ne leur seraient pas accessibles par manque d'expertise, d'équipements ou de ressources financières ou humaines», a écrit Mme Devault dans un courriel envoyé à La Presse.

Hydro-Québec a signé trois ententes avec quatre communautés dans le cadre du superprojet de la Romaine, mais elle refuse de les divulguer. «Elles ne sont pas publiques, car en partie commerciales», a justifié Mme Devault.

Hydro-Québec dit s'assurer, «dans toutes les différentes formes que peuvent prendre ces partenariats, que la partie autochtone demeure majoritaire». Dans le cas de Produits forestiers innus, la majorité est de 2%.

Hydro-Québec invoque la «non-rentabilité» et des «coûts d'exploitation élevés» pour justifier le fait qu'elle paie 34 millions pour couper le bois, plutôt que de réclamer des droits de coupe, comme le fait normalement le ministère des Ressources naturelles et de la Faune.

«Le territoire en périphérie de la rivière Romaine ne constitue pas un territoire de coupe intéressant pour les forestières, indique la porte-parole d'Hydro. La valeur commerciale obtenue pour le bois marchand est beaucoup plus faible que ce qu'il en coûte pour sortir le bois du territoire.»

L'étude d'impact déposée par Hydro-Québec pendant les travaux du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement sur le projet de la Romaine affirme que les forêts de part et d'autre de la rivière ont été en partie balayées par des vents violents et ravagées par des incendies au cours des dernières années.

Pourtant, le directeur général de la scierie de Rivière-Saint-Jean, Gérald Ouellette, a dit à La Presse que le bois coupé dans la vallée est du «beau bois». La scierie peut tailler des morceaux de bois de trois pouces sur trois pouces, de deux sur quatre et de deux sur six dans les troncs d'épinette.

Malgré de nombreuses tentatives, Réjean Paré, principal dirigeant de Rémabec, n'a pas répondu à nos appels. Même mutisme chez Boscus: personne n'a voulu nous dire à quel prix serait vendu le bois au moment de son exportation.

Un document du Quebec Wood Exportation Bureau indique que le prix de vente s'élève à 195$/m3 de bois résineux lorsqu'il est envoyé en Arabie saoudite. Deux exportateurs de bois, dont l'un a un bureau en Chine, nous ont dit que les Chinois l'achètent pour environ 200$/m3, lorsqu'il s'agit de bois de basse qualité.

À terme, le volume déboisé dans toute la vallée de la Romaine atteindra les 700 000 m3, ce qui pourrait représenter une valeur marchande de 140 millions à l'exportation.