Un enfant vient de naître, quelque part au Québec. D'ici la fin de sa vie, il court 39% de chances d'être blessé, un jour, dans un accident de la route. Comment s'en étonner, quand on réalise que chaque année, 44 000 personnes sont tuées ou blessées sur les routes de la province? Cent vingt victimes par jour. Cinq à l'heure. Une à toutes les 12 minutes.

Le domaine des transports est un monde de plaisir pour les amateurs de chiffres. Tout est toujours mesuré, documenté, chiffré. Or, quand il n'est pas en train de créer l'Opération Nez rouge, ou de travailler à l'implantation de radars photo, sur les routes du Québec, Jean-Marie de Koninck enseigne les maths, à l'Université Laval. Ça paraît. Le plaisir qu'il prend dans son dernier livre, Routes et déroutes, à faire parler des bilans routiers et des études de toutes sortes, est évident, contagieux. Et par moments, grinçant.

 

L'auteur consacre la première partie de son livre à raconter l'évolution, en parallèle, des véhicules automobiles, et de ceux qui les conduisent. On reconnaît le communicateur hors pair quand il questionne les mythes et les paradoxes qui caractérisent les comportements de certains, qui pestent contre l'indiscipline des piétons, quand ils sont au volant, et qui traversent la rue sans jeter un regard au feu rouge, quand ils magasinent dans le Plateau.

«Non seulement, on surestime nos habiletés à conduire une automobile de façon sécuritaire, écrit l'auteur, mais de surcroît, on est persuadé que ce sont les autres qui ne font pas preuve de prudence au volant.»

Un conducteur doit prendre entre 30 et 120 décisions à la minute, selon la densité du trafic, la signalisation, l'état de la chaussée, la température ou la visibilité, tout en essayant de deviner les gestes et intentions des autres conducteurs, qui prennent, eux aussi, entre 30 et 120 décisions à la minute. L'être humain est-il vraiment fait pour «rouler» ? Son cerveau est-il vraiment conçu pour fonctionner adéquatement, quand son propriétaire se déplace à plus de 30 km/h?

Mesurez votre dangerosité

Le professeur propose même une formule mathématique au lecteur pour qu'il calcule son propre «facteur de risque» personnel, «en fonction de l'âge, du sexe, de l'expérience, du kilométrage parcouru, des contraventions reçues pour excès de vitesse, et du nombre des interception pour conduite avec les facultés affaiblies». Du plaisir pour toute la famille, les soirs d'orage.

Dans la seconde partie de son livre, qui explore l'avenir de l'automobile et des habitudes de déplacement de chacun, l'auteur lance des pistes de réflexion, pour poursuivre l'amélioration du bilan routier.

Son apologie des carrefours giratoires où les véhicules ne se croisent pas, son exploration de technologies permettant de surveiller, en continu, les facultés de conduire des chauffeurs, ou l'expérience suédoise Vision Zéro, dont «l'objectif à long terme est que personne ne soit tué ni gravement blessé à la suite d'un accident sur le réseau routier», font alors ressortir le polémiste qui, chez Jean-Marie de Koninck, n'est jamais trop loin du professeur.

En 1973, rappelle M. de Koninck, le Québec enregistrait le pire bilan routier de son histoire: 2209 morts en un an. Trente-cinq ans plus tard, en 2008, 557 personnes perdaient la vie dans des accidents routiers. Une chute de 75%.

«Mais si le bilan routier a connu un tel progrès, s'interroge-t-il, est-ce parce que nous sommes de meilleurs conducteurs, ou est-ce simplement dû à d'autres facteurs encore plus déterminants», comme le port généralisé de la ceinture de sécurité, l'amélioration des normes de fabrication des véhicules ou les progrès fulgurants de la traumatologie?

Routes et déroutes par Jean-Marie De Koninck, Éditions Voix Parallèles, 136 pages, 24,95$

En librairie le 1er avril