Un triangle amoureux. Une bombe dans un avion. Vingt-trois victimes. Trois pendus. C'est l'histoire d'un crime presque parfait. Le «vrai» crime d'Ovide Plouffe. Soixante ans plus tard, l'attentat de Sault-au-Cochon est toujours imprimé dans la mémoire de nombreux Québécois.

«Il fallait être méchant pour faire un plan comme ça.» Thérèse Bergeron-Halpin, 84 ans, est toujours indignée, 60 ans plus tard. La dame âgée se souvient de l'air ébranlé de son mari, James Halpin, à son retour à Québec, après avoir passé plusieurs heures en forêt à la recherche du lieu de l'écrasement du DC-3 de la Canadian Pacific Airlines près de Sault-au-Cochon.«Il m'a décrit à quel point c'était macabre. Il a vu des corps, dont un bébé. Ça l'a vraiment secoué», raconte-t-elle. Son mari, pharmacien à Québec, a été l'un des premiers à se rendre sur les lieux de l'«un des drames les plus horribles et les plus ignobles à noircir les annales criminelles canadiennes», comme l'a écrit Allo-Police dans un dossier sur «La vraie histoire du crime d'Ovide Plouffe» publié en 1984.

Le 9 septembre 1949, un avion partant de Québec à destination de Baie-Comeau s'est écrasé près du village de pêcheurs de Charlevoix. À bord, il y avait trois grands patrons de compagnies américaines. Les 23 passagers ont péri, dont une certaine J. Guay.

L'ami d'enfance de M. Halpin, «Mo» Edwards, photographe pour le Toronto Star, avait insisté pour qu'il l'accompagne. «Quand Mo a reçu un appel de Toronto, la nouvelle n'était même pas rendue à Québec», se remémore Mme Bergeron-Halpin, dont le mari est récemment décédé.

Après une marche de trois heures en montagne, le pharmacien et le photographe sont arrivés sur la scène de crime avant les policiers. M. Edwards a eu le temps de prendre quelques photos. En entendant les policiers, il a refilé les films à son ami, qui les a cachés sous son manteau. Les agents ont confisqué l'appareil d'Edwards, mais n'ont pas pensé à fouiller M. Halpin. À leur retour, Mo s'est empressé de transmettre les photos au journal torontois, qui a publié les premières images du drame.

23 personnes tuées

L'enquête révélera quatre jours plus tard qu'une explosion dans le compartiment à bagages a causé la tragédie. Deux semaines se sont écoulées avant que la vérité n'éclate. «L'explication trouvée: les 23 personnes tuées pour une femme dont son mari aurait voulu se défaire en touchant aussi 10 000$ d'assurance», a alors titré La Presse.

Le mari, c'est J. Albert Guay, 31 ans, décrit par les médias de l'époque comme un «raté» vendeur itinérant de bijoux à Québec. La femme, c'est Rita Morel. Le couple a une fillette de 4 ans et... une relation orageuse.

Au procès de Guay, un ami de l'accusé, Lucien Carreau, racontera que Guay cherchait un moyen de tuer sa femme. Il lui avait offert 500$ pour qu'il mette du poison dans son verre de vin. C'est que Guay était amoureux fou d'une jeune serveuse de 17 ans, Marie-Ange Robitaille.

Le bijoutier a ainsi planifié le premier attentat terroriste contre un avion civil en Amérique. «La seule explosion du genre était arrivée quelques mois auparavant, aux Philippines. Il n'y avait pas eu de mort à ce moment-là. Mais ce n'était probablement pas passé inaperçu pour Albert Guay», a raconté à l'époque le Dr Jean-Marie Roussel du Laboratoire de médecine légale et de police technique de Montréal.

C'est le travail du Dr Roussel et de son collègue, le jeune chimiste Robert Péclet, qui a permis d'identifier les causes de l'explosion. «Ils ont été très débrouillards. Mais aussi chanceux de découvrir des traces d'explosifs. Ça aurait pu être un meurtre parfait. Si l'avion n'avait pas été en retard, il aurait explosé au-dessus du Saint-Laurent où on aurait eu peu de chances de trouver quoi que ce soit», affirme la fille du Dr Péclet, Claire Péclet, qui a suivi les traces de son père en devenant à son tour scientifique au Laboratoire.

Meurtre payant

En achetant le billet d'avion de sa femme, Guay a pris une assurance vie de 10 000$, une somme considérable pour l'époque. Rita devait aller chercher pour lui des bijoux à Baie-Comeau. Il est allé la conduire lui-même à l'aéroport, non sans l'embrasser, avant de la quitter.

Peu de temps avant le départ, Marguerite Ruest-Pitre, complice de Guay, est allée porter un colis - une statue «fragile» - dans l'avion. Mme Pitre était surnommée «le corbeau» par ses voisines en raison de son air bête et de ses éternels vêtements noirs. Elle avait eu deux maris, 14 enfants de plusieurs hommes et elle faisait des avortements clandestins, selon Allo-Police.

À son procès, Mme Pitre a toujours nié connaître le contenu du paquet. Selon la poursuite, en échange de ses services, Guay effaçait une vieille dette de 600$. C'est le frère de Mme Pitre, Généreux Ruest, un horloger confiné à un fauteuil roulant, qui a fabriqué la bombe.

Guay a dénoncé ses complices un mois avant d'être pendu, le 12 janvier 1951. À son procès, il n'a pas témoigné pour sa défense. Le jury a mis 17 minutes pour le déclarer coupable. Son amante, la jeune serveuse, n'a jamais été accusée et a ensuite changé d'identité. Mme Pitre et son frère ont été condamnés à mort à leur tour. Au pied de l'échafaud, elle a remercié les policiers et même le juge. «Je regrette tout ce qui s'est passé», a-t-elle lancé. C'est la dernière femme à avoir été exécutée au Canada.

L'auteur Roger Lemelin s'est inspiré de cette affaire pour écrire Le crime d'Ovide Plouffe. L'histoire a ensuite été portée au grand écran en 1984. Rita Morel est ainsi devenue Rita Toulouse dans le film de Denys Arcand. Mais parfois, la réalité est encore plus étrange que la fiction. «Chose curieuse, la seule personne qui a pu être identifiée d'après les photographies prises sur les lieux - on aperçoit sa figure, sous le fuselage -, c'était Rita Morel, l'épouse d'Albert Guay», a raconté le Dr Roussel du Laboratoire de médecine légale.