Des notes de frais imposantes. Une enquête de la SQ. Des liens connus avec des membres de groupes criminels. La FTQ-Construction est dans l'embarras. Pourtant, les démêlés de la centrale syndicale ne surprennent pas le milieu de la construction.

Les démêlés de la FTQ-Construction avec les Hells Angels avaient transpiré dès l'automne dernier dans l'administration publique québécoise. C'est l'explication qui avait, par exemple, circulé au sein du conseil d'administration de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, quand Jean Lavallée avait quitté subitement son siège de secrétaire financier de l'organisme.

 

Selon les informations obtenues par La Presse, la proximité des motards criminels est au centre des départs simultanés de Jean Lavallée, président de la FTQ-Construction, et de son directeur général, Jocelyn Dupuis, des démissions décidées en septembre 2008 par le président de la centrale, Michel Arsenault. Les notes de frais imposantes de M. Dupuis, révélées par Radio-Canada mercredi et hier soir, ont causé de l'embarras au syndicat à la veille de la période de maraudage.

Mais l'existence d'une enquête policière, une opération connue du président, Michel Arsenault, a bien plus durement touché l'organisation.

Selon les informations de La Presse, l'enquête ouverte par l'escouade mixte sur les fraudes fiscales, groupe dirigé par la SQ, il y a plus de deux ans, est «en phase terminale» et se conclura ce printemps. Pour la police, la cible était bien davantage les gangs de motards que les permanents syndicaux.

Hier, à l'animateur Paul Arcand, le ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis a confirmé l'existence de l'enquête de la SQ révélée par La Presse. «J'en apprends les détails ce matin (hier). J'en avais entendu parler, on m'avait mis au courant récemment», a dit le ministre Dupuis. À la même émission, le syndicaliste Ken Pereira, celui qui avait rendu publiques les notes de frais astronomiques de M. Dupuis, a insisté pour dire qu'il n'était pas la source de l'article de La Presse révélant les liens entre la centrale avec les gangs de motards. M. Pereira, qui a durement attaqué M. Dupuis mais excusé Jean Lavallée, a demandé la protection de la Sûreté du Québec. Les frictions de M. Pereira avec la FTQ étonnent les initiés: au début de 2008, ce transfuge avait été choisi comme le porteur de la poursuite de la FTQ-Construction contre son ancien syndicat, le Conseil provincial de la construction, local 2182.

Connu

Selon une source patronale, l'infiltration de la FTQ-Construction par le monde interlope est connue depuis plusieurs années. Même si le leader trifluvien des Hells, Normand «Casper» Ouimet a des liens avec l'ex-directeur général Jocelyn Dupuis, c'est davantage le chapitre de la Rive-Sud, les «H.A. South» anciennement basés à Saint-Basile-le-Grand, qui ont pénétré dans l'industrie de la construction.

Dans cette industrie, on est conscient que certaines entreprises ont versé du côté de l'illégalité. Des perquisitions ont eu lieu récemment, mettant au jour un système de fausses factures.

Selon les informations obtenues par La Presse, plus d'une dizaine d'entrepreneurs sont passés à table à la Sûreté du Québec, et ont dénoncé des pratiques illégales de la centrale. Sous le couvert de l'anonymat, un représentant en vue du secteur patronal au Québec laisse tomber: «C'est de commune renommée que les Hells sont avec la FTQ-Construction».

Un an après sa première élection en 2003, le gouvernement Charest était venu bien près d'ouvrir la boîte de Pandore. Au printemps 2004, tous les ténors patronaux réclamaient une enquête sur les dépassements de coûts systématiques des grands chantiers industriels, des coûts supplémentaires de près de 25% sur ce qui se construit partout ailleurs. La FTQ, alors dirigée par Henri Massé, avait rué dans les brancards, et le premier ministre Jean Charest s'était contenté d'une enquête beaucoup plus étroite sur le dérapage de 250 millions du chantier de la Gaspésia. Au Forum des générations, quelques mois plus tard, la FTQ avait affiché, rappelle-t-on, une sympathie étonnante pour le gouvernement libéral qui venait pourtant de modifier le Code du travail pour favoriser la sous-traitance.

Train de vie luxueux

Le train de vie luxueux de M. Dupuis fait jaser depuis longtemps à la centrale. Déjà lors de la dernière période de maraudage, les pancartes des adversaires syndicaux dépeignaient le directeur général en route vers la Californie au volant de son VUS BMW, et traînant un énorme hors-bord. Il possédait en outre une Corvette de collection. Dans le reportage de Radio-Canada, Ken Pereira parlait de la «vie de superstar» du leader syndical, un permanent qui dépensait sans compter (voir autre texte en page A4).

Son patron Jean «Johnny» Lavallée, n'est pas en reste; on a fait longtemps des gorges chaudes à la centrale d'un chef syndical qui ne pouvait stationner son auto comme les autres employés: trop haut, son Hummer restait dans l'aire des véhicules de service. Avant le coûteux véhicule utilitaire, c'était une Cadillac aux enjoliveurs dorés. M. Lavallée, permanent syndical, pilote son avion personnel - son troisième appareil -, il a une maison très imposante près de Mascouche, mais une résidence secondaire plus importante encore dans la municipalité de Lac-aux-Sables, en Mauricie.

Pour sa part, le président de la FTQ, Michel Arsenault, n'a toujours pas commenté cette affaire.