Les salaires réels des travailleurs canadiens qui se trouvent au bas de l'échelle ne cessent de baisser et de façon dramatique, indique une nouvelle étude. Sans surprise, l'organisme Moisson Montréal note une très forte augmentation du nombre de petits salariés qui ont besoin d'aide alimentaire.

Dans un bilan statistique publié cet automne, l'organisme s'inquiète d'une augmentation de 65%, en une seule année, du nombre de ménages qui tirent leurs revenus d'un emploi à temps plein parmi sa clientèle. Au total, 765 de ces ménages avaient compté sur les paniers de provisions de Moisson Montréal en mars 2007 (le mois de référence); en mars 2008, leur nombre avait bondi à 1261.

 

Une augmentation semblable, soit 62%, a été constatée pour les ménages tirant la plupart de leurs revenus d'emplois à temps partiel. «Cela démontre bien que le travail rémunéré ne suffit plus à répondre adéquatement au besoin substantiel de se nourrir pour une couche importante des ménages montréalais, souligne le bilan. Cette proportion de travailleurs pauvres était moitié moins en mars 2007.»

Productivité à la hausse, gains à la baisse

Un centre de recherche d'Ottawa a analysé l'évolution des revenus des travailleurs canadiens en les divisant par cinq tranches (ou quintiles), puis l'a comparée à l'évolution de la productivité du travail de 1980 à 2005. Jeudi dernier, il a publié ses conclusions: la productivité a augmenté de 37%, mais les travailleurs appartenant au quintile inférieur ont vu leurs gains diminuer de 20%.

De façon globale, les salaires médians au Canada n'ont pas augmenté du tout durant cette période, une fois ajustés pour l'inflation. «Les économistes soutiennent qu'une augmentation de la productivité devrait entraîner une augmentation proportionnelle des salaires réels, rappelle Andrew Sharpe, directeur exécutif du Centre d'étude des niveaux de vie. Mais les données indiquent que ceci ne s'est pas produit au Canada au cours des 25 dernières années.»

En mai dernier, Statistique Canada a rapporté que le revenu annuel médian des travailleurs canadiens a augmenté de seulement 53$ en 25 ans, passant de 41 348$ en 1980 (en dollars de 2005) à 41 401$ en 2005. Les gains reliés à l'augmentation de la productivité ont profité aux Canadiens les plus riches, tandis qu'à l'autre bout, les travailleurs les moins bien nantis ont vu leurs revenus diminuer de 20,6%, précise M. Sharpe.

Derrière les chiffres

Derrière ces chiffres se trouve une réalité douloureuse, signale Carole Henry, du groupe montréalais Au bas de l'échelle: «Bien des travailleurs ont de plus en plus de difficulté à acheter un panier de provisions complet et équilibré, dit-elle. Leurs revenus stagnent ou baissent, alors que le prix de plusieurs denrées de base a augmenté de 13% à 20% cette année. À cela s'ajoutent les hausses de loyers, des frais de transports en commun, etc.»

Hier, Mme Henry a pris au téléphone l'appel de détresse d'un technicien en informatique sous contrat avec une agence de placement de personnel. «L'agence lui a dit que, en raison de la crise économique qui déboule, elle devait amputer son salaire de 10%. La crise a cette conséquence: les salariés acceptent des baisses de leur salaire, même quand ils sont déjà bas, parce qu'ils craignent de perdre leur emploi.»

Carlos Suarez, de Moisson Montréal, souligne que les enfants sont les premières victimes des bas salaires et du chômage. Le tiers des ménages qui s'approvisionnent auprès de Moisson Montréal ont des enfants à charge.

«Le Guide alimentaire canadien est formidable, dit M. Suarez. Il incite les gens à manger de façon équilibrée. Mais bien des familles n'arrivent tout simplement pas à le suivre. La bonne viande est inaccessible pour elles. Les produits laitiers sont très chers. Les enfants ont besoin de protéines pour leur croissance. Ils n'en trouvent pas beaucoup dans les spaghettis à la sauce tomate...»