Les relations de plus en plus fréquentes entre les organisations criminelles canadiennes, notamment de Montréal, et les cartels de drogue du Mexique inquiètent au plus haut point la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui craint que l'influence des trafiquants mexicains se traduise par une hausse de la violence et de la corruption au pays.

La GRC émet ces craintes dans deux rapports de renseignements déposés au printemps 2012 et dont La Presse a obtenu copie grâce à la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics.

La GRC rappelle notamment qu'une dizaine de criminels canadiens ont été tués au Mexique depuis 2008, vraisemblablement à la suite de transactions ou d'associations qui ont mal tourné. Elle tisse également un lien avec les guerres de gangs qui ont fait plusieurs morts ces dernières années en Colombie-Britannique.

«En 2007 et 2008, l'augmentation du nombre de meurtres et de fusillades dans le milieu criminel de la Colombie-Britannique et le signalement de cas de violence brutale au Mexique ont soulevé des préoccupations relativement à l'influence criminelle mexicaine au Canada. Des enquêtes menées sur des affiliations entre des Canadiens et des criminels au Mexique, y compris sur la présence possible de cartels de drogue au Canada, ont causé encore plus d'inquiétudes», écrivent les auteurs des rapports.

Le projet Loquace

La GRC constate que depuis cinq ans, des rapports font état de plus en plus d'associations entre les cartels et les groupes criminels organisés canadiens, qui font maintenant directement affaire avec les Mexicains, pour éliminer les intermédiaires et accroître leurs profits.

Les noms de ces organisations criminelles ont été caviardés dans les documents, mais des sources ont indiqué à La Presse que l'une d'entre elles serait le consortium d'importation de cocaïne dirigé par le Montréalais et membre du Gang de l'Ouest Shane Kenneth Maloney, le Hells Angels de la Colombie-Britannique Larry Amero et le trafiquant Rabih Alkhalil, démantelé lors de l'importante opération Loquace de la Sûreté du Québec, en novembre dernier.

Des sous-marins de cocaïne

Les cartels mexicains ne lésinent pas sur les moyens pour exporter leur drogue, allant même jusqu'à utiliser des sous-marins, indiquent les rapports. Or, des enquêtes récentes ont démontré qu'un groupe criminel implanté à Montréal aurait eu l'intention d'importer de la cocaïne au pays de cette façon.

En 2007, 160 kg de cocaïne dissimulés dans une cargaison de purée de mangue ont été saisis au port de Montréal. Or, les responsables feraient partie d'un cartel dont les représentants étaient venus à Montréal pour mettre sur pied une fausse entreprise de distribution alimentaire qui leur aurait servi de couverture.

La GRC craint que la lutte aux cartels lancée par les autorités mexicaines et le resserrement de la surveillance à la frontière américaine amènent les trafiquants mexicains à se tourner vers le Canada et à exercer leurs méthodes de corruption, «que certains comparent à celles utilisées pour recruter des espions durant la guerre froide».

Les auteurs des rapports recommandent une analyse complète des liens qui peuvent exister entre les organisations criminelles mexicaines et canadiennes, et une plus grande collaboration avec les autorités du Mexique.

-Avec la collaboration de William Leclerc

________________________________________



Les cartels mexicains:

La guerre contre les cartels lancée par le président Felipe Calderon aurait fait entre 50 000 et 100 000 morts entre décembre 2006 et la fin de 2012, selon différentes estimations. Depuis 2009, plus de 40 000 policiers sont affectés à la lutte aux cartels.

Les deux plus importants cartels sont celui des Zetas, composé notamment d'anciens militaires, d'ex-membres d'unités d'élite de lutte aux narcotrafiquants et de policiers corrompus, et celui de Sinaloa, qui embaucherait 100 000 hommes armés, selon le ministère de la Défense des États-Unis.

Sources : Stratfor Global Intelligence, Agence France-Presse, Euronews

_______________________________________

Des Canadiens visés

SHANE KENNETH  MALONEY

Membre du Gang de l'Ouest, l'homme de 35 ans et ses présumés complices arrêtés en novembre dernier dans l'opération Loquace auraient voulu prendre le contrôle de l'importation et la distribution de cocaïne au Canada, selon la police. D'après nos sources, le réseau s'approvisionnait directement auprès des cartels mexicains. Il semble d'ailleurs que Maloney se trouvait au Mexique pour faire des affaires et pour fuir la chaleur policière lorsqu'est survenu en janvier 2011 le passage à tabac d'un enquêteur du SPVM pour lequel il est accusé.

RABIH ALKHALIL

Rabih Alkhalil, 25 ans, un résidant de la Colombie-Britannique, faisait également partie du consortium démantelé dans l'opération Loquace. Selon nos sources, il aurait eu des contacts au Mexique, où il se serait d'ailleurs caché durant plusieurs semaines avant de se rendre en Grèce, où il a été arrêté en mars dernier. Après son arrestation, Alkhalil a été accusé d'un meurtre commis à Toronto en juin 2012. La police croit que son organisation aurait commis d'autres meurtres, dont un à Montréal l'été dernier.