L'ex-cardiologue Guy Turcotte, jugé non criminellement responsable du meurtre de ses enfants, Anne-Sophie et Olivier, est libéré sous conditions. C'est ce qu'a décidé le Comité d'examen des troubles mentaux après s'être de nouveau penché sur son cas aujourd'hui.

«Vous êtes libéré à compter d'aujourd'hui», a prononcé Me Danielle Allard, présidente du Comité au terme d'une journée d'audience.

Guy Turcotte: un peu la fin du monde

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La responsable des communications de l'Institut Philippe Pinel, Sylvie Audet, n'était pas en mesure ce soir d'expliquer quelles seront les procédures qui mèneront à la sortie de M. Turcotte de l'établissement.

Selon le comité, M. Turcotte représente toujours un risque pour la société, mais un risque «acceptable» s'il poursuit sa psychothérapie et respecte ses conditions de libération. Il devra, entre autres, revenir devant la Commission d'examen des troubles mentaux tous les ans, poursuivre sa psychothérapie, éviter tout contact avec son ex-conjointe et «garder la paix». Sa future résidence devra également être approuvée par l'Institut. La décision de la Commission a été prise à l'unanimité par les trois commissaires, au terme d'une journée d'audience.

La commissaire Allard a énuméré le pour et le contre de la libération de Turcotte. Elle dit qu'ont été considérées la gravité du crime, la lenteur de l'homme à s'être investi dans une psychothérapie et son incapacité d'aller chercher de l'aide dans les semaines précédant le meurtre de ses enfants, Anne-Sophie et Olivier, commis le 21 février 2009.

Mais elle a aussi noté son introspection récente, mais sincère, son absence de dangerosité pour Isabelle Gaston.

Cette dernière, dans le flot d'indignation qu'a suscitée la décision au Québec, est probablement celle qui a eu la réaction la plus posée.

«Les commissaires ne pouvaient rendre une meilleure décision dans les circonstances, et vu la jurisprudence», a-t-elle commenté.

Il faut dire qu'elle s'attendait à cette décision. Elle déplore toujours le fait que la vie perdue de ses enfants ne soit pas mise à l'avant-scène dans ce tribunal administratif.

«Je ne crois toujours pas à sa non-responsabilité criminelle, alors je considère tout de même qu'un criminel a été libéré aujourd'hui», a-t-elle affirmé.

Parmi les témoignages qui ont mené les commissaires à cette décision, il y a celui du psychiatre traitant de Turcotte à l'Institut Pinel, le Dr Pierre Rochette. L'an dernier, il s'était opposé à la libération de son patient. Il disait que Turcotte était fermé et ne participait pas à sa thérapie. Cela a changé, a-t-il expliqué, notamment parce que l'homme s'est luxé une cheville en mai dernier, ce qui l'a contraint à l'immobilité: «Monsieur s'est retrouvé avec un plâtre pendant six semaines. Il ne pouvait plus dissiper ses émotions par l'activité physique intensive. Il a cessé la fuite en avant et s'est ouvert.»

Cette ouverture est nouvelle et le processus thérapeutique, embryonnaire, mais sincère, croit-il.

L'an dernier, le Dr Rochette estimait que le trouble de l'adaptation que Guy Turcotte avait invoqué pour sa défense ne suffisait pas à expliquer son passage à l'acte. L'équipe médicale cherchait le «chaînon manquant» pour comprendre ce qui avait poussé Turcotte à commettre l'irréparable.

Le psychiatre croit maintenant qu'on est en bonne voie de trouver ce chaînon, mais il n'est pas prêt à s'avancer sur sa nature.

Il a aussi mentionné que le fait que TVA ait révélé que Turcotte sortait à vélo chaque jour, en septembre, avait modifié son processus de sortie, car il craignait d'être invectivé, voire agressé, s'il sortait encore en public.

Mais dans son témoignage, Guy Turcotte a dit que ses craintes ne s'étaient pas matérialisées. «Je prends maintenant des bains de foule chaque semaine, souvent seul, et tout va bien», a-t-il dit au sujet des sorties sans escorte dont il bénéficiait depuis quelques mois. Il pouvait parfois sortir six jours sur sept pendant huit heures, et parfois même pendant 16 heures, pour dormir chez ses proches.

Il a aussi eu l'occasion de fréquenter les enfants de ses proches. «Quand j'ai eu mon premier contact avec un bébé, ç'a été positif. Mais, après réflexion, ça me faisait revivre des choses. (...) Mais où je suis rendu dans mon deuil, ce n'est plus aussi difficile ou pénible qu'avant de repenser à ça», a-t-il expliqué.

Il jure qu'il n'éprouve plus de colère envers la mère de ses enfants, Isabelle Gaston, et il espère pouvoir reprendre une vie normale, si c'est possible, travailler, faire du bien autour de lui.

Le psychiatre qui le suivra dorénavant, le Dr Louis Morissette, a affirmé que Turcotte fera un jour une demande pour être réintégré au tableau des membres du Collège des médecins. Mais questionné à ce sujet, le principal intéressé a dit ne pas être prêt encore. Il prévoit faire du travail de bureau et du bénévolat. Le Dr Rochette a toutefois indiqué que certains organismes avaient refusé M. Turcotte comme bénévole à cause de son nom. Ainsi, le bénévolat qu'il a fait depuis, c'est chez un couple âgé proche de ses parents.

Il a aussi récemment repris son permis de conduire et a conduit des voitures, au cours de ses épisodes de libération.

Rappelons que la Couronne a interjeté appel du verdict de non-responsabilité criminelle.



La Couronne ne pouvait pas empêcher sa libération


Même si le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) interjette appel du verdict rendu le 5 juillet 2011 dans le dossier Guy Turcotte, il ne pouvait empêcher la Commission de lui donner sa liberté, même s'il s'y est opposé.

Déclaré criminellement non responsable par un jury, M. Turcotte était évalué exclusivement par la Commission d'évaluation des troubles mentaux, qui devaient juger de sa capacité à retourner dans la société civile en se fondant sur le jugement porté en Cour de première instance.

«M. Turcotte a eu son jugement et la Commission devait prendre des décisions selon les avis des psychiatres qui l'ont traité, et selon le jugement. Le DPCP ne pouvait exiger qu'il soit détenu jusqu'au jugement en appel, car juridiquement, il a été déclaré non criminellement responsable», a expliqué à La Presse l'avocat criminaliste Matthieu Dudemaine.