Les interventions de l'agente matricule 728 ont fait la manchette à deux reprises cette année. On l'a d'abord vue asperger de gaz-poivre des manifestants lors du printemps érable. Cet automne, Stéfanie Trudeau a procédé à l'arrestation musclée d'un groupe d'amis qu'elle a plus tard qualifiés d'«hosties de carrés rouges». Ces comportements sont-ils acceptables? Une chose est sûre, c'est à mille lieues de ce qui est enseigné à l'École nationale de police du Québec (ENPQ), à Nicolet, près de Trois-Rivières. Récit d'une journée parmi les aspirants policiers.

8 h 30

L'instructeur Alain Poulin accueille ses 36 élèves, dont 7 filles. En chemise bleu pâle et cravate, les aspirants policiers s'assoient à leur bureau. Ils entament ces jours-ci le dernier tiers du stage de 15 semaines qui termine leur formation policière. Plusieurs ont à peine 20 ans.

Alain Poulin, policier en fin de carrière au sourire facile, répartit les élèves en équipes de deux. Ce matin, les recrues patrouilleront dans le secteur en voiture en attendant les appels fictifs d'une répartitrice.

Au signal de leur instructeur, tous se lèvent d'un bond, enthousiastes.

9 h 15

Filippo Dori, 32 ans, et sa collègue Mélissa Jobin, 22 ans, sont appelés à intervenir dans l'un des 30 plateaux de simulation du campus. La propriétaire d'une maison de chambres demande de l'aide pour expulser un ancien locataire «à l'allure bizarre».

Derrière un miroir sans tain, Céline Lefebvre, conseillère psycho-sociocommunautaire, attend l'arrivée des deux agents, écouteurs sur les oreilles. Elle devra analyser leur intervention et leur donner des conseils par la suite.

«Lorsqu'on parle d'un problème de santé mentale, la clé du succès, c'est la patience, dit-elle. Les élèves ont tendance à vouloir régler ça rapidement.»

Le tandem entre dans l'appartement, où les attendent deux comédiens pour la mise en situation. Mélissa Jobin va rencontrer la plaignante tandis que Filippo Dori s'assoit à côté du chambreur.

Le chambreur est incohérent. Il parle d'oiseaux, de musique. Lorsque Filippo Dori l'invite à se rendre avec lui à l'hôpital, il se braque. Le futur policier décide alors de lui parler de musique pour établir un contact. En tout temps, il le vouvoie.

«Ici, on demande aux élèves de vouvoyer tout le monde, même leurs confrères et consoeurs, durant tout le stage, souligne Jean-Luc Gélinas, responsable du programme de formation initiale en patrouille-gendarmerie. On les encourage à continuer à le faire après. Dans une intervention, le fait de vouvoyer montre du respect.»

Une demi-heure plus tard, le chambreur accepte de quitter l'appartement. Céline Lefebvre a bien aimé l'approche des deux recrues, mais elle émet deux petites réserves: ils ont accéléré le rythme vers la fin et ils ont dit au chambreur qu'ils allaient écouter Elvis Presley dans la voiture. «Il faut éviter de faire des promesses qu'on ne pourra pas tenir.»

10 h

Devant un local tapissé de matelas, un petit groupe d'élèves écoute Aaron Ouellet, instructeur en intervention physique. C'est l'heure du cours sur l'emploi de la force. Au programme aujourd'hui: l'expulsion d'une personne.

Au signal d'Aaron Ouellet, une jeune aspirante regarde dans le local, où l'attend un collègue qui joue le rôle du contrevenant. En retrait, elle le décrit comme un homme de 5 pieds 4 dans son walkie-talkie. «Cinq pieds quatre? C'est chien, ça!» dit l'autre en rigolant.

Revenant à son rôle, il dit à la policière qu'il ne quittera pas l'endroit tant que le locataire ne lui aura pas remis son argent. Cette dernière lui explique que, s'il refuse de collaborer, elle devra utiliser la force, ce qui pourrait lui causer des ennuis avec la justice.

Devant son refus, elle lui ordonne de partir. Elle lui saisit le bras, mais il se défend vigoureusement. Elle utilise alors son (faux) gaz-poivre et le met à genoux. «Je vais verrouiller les menottes pour ma sécurité et la vôtre», lui dit-elle calmement.

Aaron Ouellet est satisfait. «La policière a essayé de persuader la personne, ce qu'il faut faire en premier. Visiblement, ça n'a pas produit l'effet voulu. À ce moment-là, les techniques physiques peuvent être une autre option.»

Quant au moment où l'on doit recourir à la force, M. Ouellet explique: «Dans les situations difficiles, il faut d'abord demander à la personne ce qui se passe, situer le contexte, expliquer à la personne que sa présence n'est pas permise, lui présenter des options favorables et confirmer son refus d'obtempérer.»

En l'occurrence, l'utilisation du gaz-poivre était justifiée, dit-il. «On peut l'utiliser lorsque la personne montre des signes d'agressivité, mais que le contact physique n'est pas approprié.»

Dans quel contexte peut-on s'en servir? «Ça prend une infraction à une loi pour employer la force, répond M. Ouellet. On peut aussi l'utiliser lorsqu'il est urgent de protéger quelqu'un, mais encore là, ça implique qu'une infraction a été commise.»

11 h

Filippo Dori, Mélissa Jobin et deux collègues sont appelés au 829, rue Bouchard (un autre plateau de simulation). Un père de famille qui semble seul à son domicile aurait tiré des coups de feu vers le ciel.

Les quatre aspirants policiers entourent la maison. Un homme - dont le rôle est joué par un élève - sort sur le balcon, un fusil de plastique bleu à la main.

Caché derrière un arbre, Filippo Dori lui ordonne de jeter son arme. «Drop ton gun!» lui crie-t-il, avant de revenir au vouvoiement. «Dropez votre gun, monsieur!» L'homme finit par obtempérer, et l'élève lui passe les menottes.

«C'était super bon», commente l'instructeur Alain Poulin, un peu en retrait.

16 h

En fin de journée, les élèves accrochent leur manteau et retournent en classe. Alain Poulin leur rappelle que le temps des Fêtes approche et les invite à en profiter. Bientôt, ils n'auront plus toujours congé les jours fériés.

Ils auront à couvrir des événements imprévus, comme... des manifestations de «carrés rouges». «Vous devez être professionnels tout le temps», leur rappelle l'instructeur avant de les laisser aller.

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