Les forces policières ne chôment pas depuis le début de l'année. Après avoir notamment ciblé les gangs de rue, les Hells Angels et la mafia italienne, la SQ s'est attaquée à la mafia asiatique.

Après les opérations d'envergure contre les motards et contre le crime organisé italien et autochtone, c'était au tour de la pègre asiatique d'être dans le collimateur des autorités hier matin. Quelque 800 policiers ont mené une offensive majeure contre des trafiquants, soupçonnés de produire, de distribuer et d'exporter du cannabis vers les États-Unis.

Cette nouvelle frappe policière, baptisée Borax, visait l'arrestation de 196 suspects, la majorité d'origine vietnamienne. Quatre-vingt-seize d'entre eux ont été arrêtés hier et la plupart ont déjà comparu devant le tribunal. Les autres seront appelés à le faire sous peu.

L'opération, orchestrée par la Sûreté du Québec avec l'aide de la Gendarmerie royale du Canada et des corps policiers municipaux, s'est amorcée en 2005.

Au tout début de l'enquête, les policiers visaient notamment les commerces de vente de matériel de serres hydroponiques. Ceux-ci racolaient les producteurs de marijuana au sein de la communauté vietnamienne à l'aide de dépliants publicitaires vantant leurs produits.

Au fil de leurs recherches et à la suite de plaintes de citoyens, les policiers se seraient aussi intéressés à une compagnie exploitée par des Asiatiques qui se chargeait de récupérer les déchets de pot chez leurs compatriotes actifs dans ce commerce illicite.

C'est en suivant un camion de cette «entreprise de transport de résidus de marijuana» que les policiers ont découvert une série de serres hydroponiques. Remplis de déchets de pot, des conteneurs étaient parfois abandonnés dans des ruelles, au nez des enfants qui y jouaient. Des parents ont d'ailleurs manifesté leur mécontentement aux policiers à ce sujet.

En général, la marijuana asiatique prenait la route des États-Unis. Certains passeurs la faisaient transiter par les territoires autochtones de Kahnawake ou d'Akwesasne avant de l'expédier en sol américain. D'autres se contentaient de l'écouler sur le marché québécois et ailleurs au pays.

Une quarantaine d'endroits - des résidences et une dizaine de commerces - ont fait l'objet de perquisitions à Montréal, à Laval et à Longueuil. Plusieurs de ces propriétés servaient à cultiver le fameux Quebec Gold, prisé des consommateurs.

Une des perquisitions a eu lieu chez C.N!, commerce spécialisé en matériel de jardinage de la rue Cunard, dans le parc industriel du quartier Chomedey, à Laval.

Sous la pluie battante, les policiers faisaient le pied de grue dans le stationnement de l'entreprise, hier matin, en attendant l'arrivée d'un serrurier qui pourrait leur donner accès à l'entrepôt. L'entreprise servait apparemment à contrôler la qualité de la marijuana destinée au marché noir.

Un autre des commerces visités par la police se trouvait dans un petit centre commercial du boulevard Langelier, à Saint-Léonard. Discrètement établi entre deux garderies et une entreprise de comptabilité, le centre d'équipement spécialisé en culture hydroponique TTN Garden appartenait aussi à de présumés trafiquants, indiquent les enquêteurs.

Des piles de boîtes remplissaient ce local défraîchi. Les commerçants voisins semblaient consternés. «Le gros monsieur d'origine asiatique qui travaillait là me saluait, sans plus. Ça me surprend parce que c'était toujours tranquille», a déclaré Lucie Bisecco, propriétaire des garderies L'univers de Loulou et Le royaume de Lucie.

Agentes immobilières

Au moins deux agentes immobilières seraient au nombre des accusées. L'une d'elles, Jenny (Thuy Huong) Nguyen, employée de Remax, semblait jouer un rôle clé dans cette affaire. Elle est accusée d'avoir comploté pour produire de la marijuana et d'avoir incité des gens à commettre un acte criminel.

Âgée de 31 ans, la jeune femme aurait tenté de faciliter l'accès à des propriétés à ses clients désireux d'aménager des serres hydroponiques sous leur nouveau toit. Mme Nguyen habite place Arthur-Buies, dans l'est de la ville.

Selon un voisin, la police avait fait une descente en 2007 au duplex qu'habite l'accusée depuis quelques mois. Les locataires de l'époque y avaient déjà fait une plantation de marijuana à chacun des trois étages de l'immeuble. Pour ne pas attirer l'attention, un couple d'origine vietnamienne y venait à l'occasion, mais personne n'y habitait à plein temps. «Parfois, on les voyait sortir en pyjama pour sauver les apparences», souligne ce voisin.

Quelques mois après la descente, une pancarte à vendre de la société ReMax a été plantée sur le terrain. L'agente immobilière avait pour nom Jenny Nguyen. Elle a finalement acheté elle-même l'immeuble, pour y emménager avec son conjoint Kevin Mai, également accusé dans cette affaire. «Je ne sais pas trop comment réagir devant leur arrestation. Je suis content, mais j'ai peur en même temps», résume ce voisin.

La grande majorité des 96 suspects ont comparu en après-midi par vidéoconférence depuis les palais de justice de Montréal, de Laval et de Longueuil. Ils ont presque tous été relâchés en échange d'une caution variant de 1500$ à 3500$. Une quinzaine d'entre eux demeurent écroués. Malgré l'ampleur de l'opération, aucune accusation de gangstérisme n'a été déposée.

Selon toute vraisemblance, ce commerce illicite a permis la création de plusieurs petits réseaux indépendants et non d'une seule et même organisation structurée.

Un bilan final de l'opération sera dévoilé demain par la Sûreté du Québec. On en saura plus sur le fonctionnement exact des réseaux de trafiquants. «Les activités gravitaient autour d'une dizaine de commerces qui vendaient de l'équipement pour faire de la culture de cannabis», a simplement souligné Joyce Kemp, porte-parole de la SQ.

Malaise en détention

Une scène inusitée s'est déroulée au centre opérationnel nord du Service de police de la ville de Montréal, où ont été conduits plusieurs suspects arrêtés hier matin. Un des prévenus a été transporté à l'hôpital après avoir subi un malaise cardiaque entre les murs de l'édifice, situé en bordure de l'autoroute métropolitaine. L'ambulance a été escortée par une voiture de la SQ jusqu'au centre hospitalier. Un peu plus tôt, les trafiquants étaient d'ailleurs nombreux à faire la file, assis sur des banquettes arrière de voitures banalisées, à la porte du Centre opérationnel nord.

Grosse année pour la police

Dans le cadre d'opérations majeures, Les corps policiers du Québec ont arrêté près de 400 présumés criminels depuis février 2009.

12 février: Opération Axe

Cible: gangs de rue

66 perquisitions (Montréal, couronnes nord et sud, Ottawa)

47 arrestations

Saisies: armes à feu, munitions, cocaïne, crack, marijuana, haschisch, stéroïdes, speed. Plus de 675 000$.

700 policiers (SPVM, SQ, GRC et Service de police de la Ville de Longueuil)

15 avril: Opération Sharqc

Cible: Hells Angels

167 perquisitions (Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke et Longueuil, Nouveau-Brunswick, République dominicaine et France)

156 arrestations

1200 policiers (18 corps de police)

Saisies: armes à autorisation restreinte, stupéfiants, véhicules, un million de dollars.

19 mai: Opération Cerro

Cible: un réseau de production et de vente de marijuana situé sur le territoire autochtone de Kanesatake

13 perquisitions à Kanesatake

16 arrestations

300 policiers (SQ, GRC et police des Premières Nations)

Saisies: huit serres hydroponiques, 1200 plants d'une valeur d'un million, équipement servant à la production de drogue, machinerie lourde et armes de poing.

20 mai: Opération Dictature

Cible: Hells Angels

18 perquisitions (couronne nord de Montréal, Trois-Rivières et Québec)

27 arrestations

150 policiers de la SQ

Saisies: 20000 plants de marijuana, 60 armes à feu, environ 70 000$ et neuf véhicules.

3 juin: Opération Machine

Cible: réseau de trafiquants lié aux Hells Angels

36 perquisitions (région de Québec, Montréal et Laurentides)

50 arrestations

600 policiers (SPVM, GRC, SQ et Peacekeepers de Kahnawake)

Saisies: 160 000$ , 860 roches de crack, 4000 comprimés de méthamphétamines, cocaïne, marijuana, haschisch, 34 800 livres de tabac, 12 armes à feu.

4 juin: Opération Sable

Cible: réseau de stupéfiants lié à la mafia italienne

10 perquisitions

6 arrestations

Saisies: armes à feu, stupéfiants et argent liquide.

TOTAL: 398 arrestations

L'opération Borax en chiffres

Cible: réseau de production et de trafic de cannabis

54 perquisitions (Montréal, Laval et Longueuil) dans 10 commerces et 44 résidences.

196 suspects visés

96 arrestations

800 policiers ont participé à l'opération (SQ, GRC, services de police de Laval, Longueuil et Montréal).