La Chambre des notaires sait depuis 2009 que le notaire Martial Lavoie se place dans des situations de conflit d'intérêts, mais elle a préféré lui donner un simple avertissement plutôt que de sévir. Résultat: il a continué.

Les pratiques particulières du notaire Lavoie ont été décrites dans La Presse dans le contexte du dossier sur la tour d'habitations de l'ex-maire Gilles Vaillancourt, à Laval.

Or, La Presse a appris que Me Lavoie a fait l'objet d'une plainte pour conflits d'intérêts à la Chambre des notaires, en 2009. Le plaignant, Dominique Vadeboncoeur, dénonce le fait que le notaire a joué un double rôle dans un projet immobilier à Piedmont, dans les Laurentides, qui a mal tourné: il a agi à la fois à titre de prêteur hypothécaire du promoteur et de notaire pour la vente des appartements.

Dominique Vadeboncoeur a acheté un appartement en juin 2007. À l'époque, il aurait bien voulu avoir recours aux services d'un autre notaire pour la transaction, mais le promoteur l'a fortement incité à faire affaire avec le notaire Lavoie, a-t-il expliqué à La Presse.

Par la suite, il a constaté que Me Lavoie était l'un des partenaires financiers du promoteur et il s'en est plaint à la Chambre. De fait, la société à numéro du notaire, soit 2529-7482 Québec, avait enregistré une hypothèque au bénéfice de la société du promoteur, Jean-François Pelletier (9121-5046 Québec).

»Gravité objective»

«Comment le notaire Lavoie a-t-il pu instrumenter l'achat de mon condo de façon impartiale? L'argent que je lui ai versé pour payer le condo pouvait lui être en partie remis par le promoteur en remboursement de son hypothèque», dit-il à La Presse.

En réponse à sa plainte, le syndic de la Chambre a mené une enquête en 2009, mais il a fermé le dossier. «L'infraction commise n'a pas à elle seule la gravité objective pour entraîner sa condamnation par notre Conseil de discipline», a-t-on expliqué dans une lettre adressée à M. Vadeboncoeur.

Me Lavoie avait déclaré au syndic qu'il n'était pas en conflit d'intérêts en agissant de la sorte et qu'il avait obtenu un avis juridique en ce sens.

La représentante du syndic, Sonia Godbout, s'était dite en désaccord avec le notaire. «Je ne peux me rendre aux arguments de Me Lavoie. Je suis d'avis que ses agissements démontrent à tout le moins un manque de désintéressement [...] je lui ai demandé de cesser immédiatement de recevoir des actes où l'une des parties est une compagnie ou une autre entité dans laquelle il a un intérêt», a écrit Mme Godbout à M. Vadeboncoeur.

Un simple avertissement a donc été consigné au dossier du notaire. Toutefois, «advenant récidive, la présente affaire pourra être portée à l'attention du tribunal», écrit Mme Godbout.

Or, La Presse a constaté que, depuis cet avertissement, Me Lavoie a joué ce double rôle à 17 reprises au moins. Dans plusieurs cas, il a demandé à sa fille ou à une associée de son bureau d'instrumenter les transactions impliquant sa propre société. Dans d'autres, il signe carrément l'acte à titre de notaire. Dans 14 des 17 cas, c'est Me Lavoie qui a fait publier la transaction au bureau de la publicité des droits.

Alain Roy, professeur de droit notarial à l'Université de Montréal, est outré. Il estime qu'une telle pratique est susceptible de miner la confiance du public dans la profession et qu'elle doit être sanctionnée.

«Ça me scie en deux. Un notaire ne peut utiliser son rôle pour servir ses intérêts. Le notaire a un champ de pratique qui lui est réservé parce que le législateur estime avoir besoin d'un officier public impartial», dit le docteur en droit, dont les écrits sont souvent cités par les tribunaux.

Par ailleurs, il ne croit pas que le recours à des associés y change quoi que ce soit. «La transaction procure des honoraires à la firme, partagés avec Martial Lavoie. De plus, sa fille a-t-elle l'autorité morale pour bloquer la transaction si elle constate un problème?», demande-t-il.

À la Chambre des notaires, le porte-parole Martin Scallon explique que les dossiers devant le syndic sont confidentiels. Il justifie toutefois l'inaction apparente du syndic depuis 2009 par le fait que personne d'autre ne se serait plaint des agissements de Martial Lavoie. «Si les faits que vous alléguez sont vrais, il y aura une suite, c'est clair», dit-il.

Joint par La Presse il y a deux semaines, Me Lavoie a déclaré qu'il ne voyait rien de répréhensible dans sa façon d'agir.

Un promoteur controversé

Le promoteur immobilier cité dans la plainte contre Martial Lavoie à la Chambre des notaires a eu maille à partir avec les autorités par le passé.

À la fin des années 90, le promoteur Jean-François Pelletier a incité des contribuables à retirer illégalement des fonds de leur REER sans payer d'impôt. Il a plaidé coupable à trois chefs d'accusation portés par la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), organisme qui a été remplacé par l'Autorité des marchés financiers. Il a dû payer 7000 $ d'amende.

En 2007, Jean-François Pelletier a vendu des appartements, à Piedmont, pour lesquels le notaire Martial Lavoie a agi à titre de notaire et de prêteur hypothécaire. Le projet d'appartements-hôtel, baptisé Loftboutique, comprend deux immeubles sur le chemin des Frênes.

Ce projet a connu une série de problèmes, explique le propriétaire de l'un de ces appartements, Dominique Vadeboncoeur, devenu gestionnaire de l'un des immeubles.

«Pour nous, c'est l'enfer. J'ai passé des milliers d'heures à gérer ce dossier. Des gens se sont fait saisir leur appartement, incapables de payer. Et la Chambre des notaires n'a donné qu'une tape sur les doigts au notaire Lavoie», dit M. Vadeboncoeur.

En 2008, le concept Lofboutique a été exporté à Québec. Mais encore une fois, il a occasionné des problèmes aux investisseurs, qui ont poursuivi le notaire Lavoie. En juillet dernier, deux des investisseurs ont eu gain de cause et le notaire a été condamné à leur rembourser leur mise de fonds de 21 490 $.

Loftboutique Développement International (LDI) a déclaré faillite en 2009. Jean-François Pelletier n'a pas rappelé La Presse.