La Cour suprême du Canada vient de déclarer inconstitutionnels certains des changements apportés en 2008 par le gouvernement Harper pour rendre plus difficile la contestation des résultats d'un alcootest.

Le jugement vient clarifier le droit au moment où des milliers de contestations constitutionnelles encombrent les tribunaux québécois dans des affaires de conduite avec facultés affaiblies. Le gouvernement lui-même avait pressé la Cour suprême de trancher cette question pour l'aider à se sortir de l'impasse.

«Le défi à court terme pour la Cour, maintenant, va être de gérer le nombre de dossiers», a indiqué l'avocat Marc-Antoine Carette, dont le bureau, Lepage Carette, était très engagé dans la cause.



Au bout de deux ans, en effet, un accusé peut en théorie tenter de faire retirer les accusations qui pèsent contre lui, au motif qu'un trop long délai s'est écoulé. On pourrait donc voir de nouvelles contestations en ce sens apparaître dans les tribunaux québécois.



Maintien de la défense «des deux bières»



Après un an de délibérations, la Cour a finalement rendu un jugement divisé, à cinq contre deux. La cause était celle d'une jeune femme qui s'était fait arrêter en 2008 dans la région de Sherbrooke avec une alcoolémie de près de deux fois la limite permise, selon la preuve des policiers.

Ses avocats affirmaient que les changements apportés par le gouvernement Harper contrevenaient à la Charte des droits et libertés parce qu'ils rendaient les résultats d'un alcootest trop difficiles à contester et contrevenaient donc à la présomption d'innocence.

La défense dite «des deux bières» était au centre du litige. Cette défense, qu'Ottawa a tenté de bloquer par les changements en question, consistait à faire la preuve de la consommation de l'accusé, puis, grâce au témoignage d'un expert, à semer le doute dans l'esprit du juge sur l'état d'ébriété du conducteur compte tenu de facteurs comme son poids et le temps qui s'était écoulé entre chaque consommation et le moment où il avait pris le volant.

La Cour suprême a maintenu la validité des changements apportés pour contrer cette défense. Les cinq juges de la majorité, dont la décision a été rédigée par l'ex-jugeMarie Deschamps, ont cependant conclu que certains des nouveaux fardeaux de preuve imposés à l'accusé àllaient à l'encontre de la présomption d'innocence prévue à la Charte des droits.

C'est le cas notamment du fait d'exiger de l'accusé qu'il prouve que la mauvaise utilisation ou le mauvais fonctionnement d'un appareil d'alcootest a causé une lecture d'alcoolémie supérieure à 0,08.

«L'obligation faite aux personnes accusées de prouver non seulement un problème de fonctionnement ou d'utilisation suffisamment sérieux pour soulever un doute raisonnable, mais aussi un lien de causalité entre ce problème et l'indication d'une alcoolémie supérieure à la limite légale, constitue une atteinte sérieuse à la présomption d'innocence. Elle ne peut être justifiée dans une société démocratique», a conclu l'ex-juge Deschamps.

La Cour a toutefois maintenu la validité du critère voulant que l'accusé doive à tout le moins soulever un doute raisonnable dans l'esprit du juge quant au mauvais fonctionnement ou à la mauvaise utilisation de l'appareil d'alcootest.

«Il y avait un double fardeau de preuve. Donc, même si on démontrait un mauvais fonctionnement de l'appareil, c'est-à-dire que le résultat n'était pas fiable, vous pourriez quand même être condamné à partir du moment où l'on n'était pas en mesure de démontrer que le client avait une alcoolémie en bas de la limite, a résumé Marc-Antoine Carette. Donc ça causait un risque qu'un innocent soit condamné.»

Pas rétroactifs



La déclaration de culpabilité de l'accusée Anic St-Onge Lamoureux a de plus été confirmée, car les conclusions de la Cour ne remettent pas en question celles du juge de première instance. «C'est une demi-victoire», a conclu Me Carette.

Les experts s'accordent à dire que le gros de la lutte judiciaire des prochains mois se jouera sur le plan de la divulgation de la preuve par les policiers.

Ce dossier avait ceci de particulier qu'il s'agissait d'un appel d'une décision de la Cour du Québec, qui, en raison de l'importance du sujet pour l'administration de la justice, avait pour une rare fois court-circuité le processus normal et déféré l'affaire directement à la Cour suprême.

Autre bonne nouvelle pour des centaines, voire des milliers d'accusés dont le procès était paralysé en attendant le jugement de la Cour suprême, une décision dans une cause ontarienne rendue vendredi également a conclu que les changements de 2008, ou à tout le moins ceux qui sont toujours en vigueur, ne sont pas rétroactifs. Ceux qui ont été arrêtés avant cette date pourraient donc toujours profiter de la défense «des deux bières».