Le régime disciplinaire dans les pénitenciers fédéraux du Québec est aux prises avec des problèmes sérieux qui pourraient mettre en danger la sécurité des gardiens et des détenus, selon des informations recueillies par La Presse.

Ingérence de Service correctionnel du Canada (SCC) dans la gestion d'un tribunal indépendant, retards dans le traitement de dossiers disciplinaires, coupes budgétaires... Des gardiens, détenus, décideurs et avocats dénoncent la dégradation du système à coup d'allégations inquiétantes.

Dans une lettre envoyée au ministre de la Sécurité publique Vic Toews en avril dernier, la «juge» responsable du Québec va jusqu'à dénoncer une atteinte à son indépendance judiciaire de la part de SCC. Celle qui porte le titre de «première présidente indépendante» alerte le ministre sur ce qu'elle décrit comme des coupes salariales arbitraires et le refus du Service de payer pour de la formation et de l'évaluation, entre autres.

«Clairement, ce n'est pas acceptable», a tranché Me Marie-Claude Landry dans cette lettre.

«Au moment où les institutions correctionnelles grossissent, l'occupation double des cellules augmente, la population carcérale est en hausse et les cas de problèmes mentaux se multiplient, il est impératif que le régime disciplinaire soit efficace et que ses divers intervenants aient le soutien et les outils dont ils ont besoin», soutient-elle.

Dans la foulée des émeutes

Le régime actuel a été créé dans la foulée de la vague des émeutes violentes des années 60 à 80, qui avait ébranlé les pénitenciers du pays. Les détenus protestaient contre la violation de leurs droits, notamment sur le plan disciplinaire.

La loi divise les infractions en deux catégories. Les infractions mineures sont traitées directement par le personnel du pénitencier et font l'objet de sanctions plus légères: perte de privilège, baisse de salaire, etc.

Les infractions majeures, comme certains actes de violence, sont jugées devant la «Cour disciplinaire majeure». Ce tribunal administratif se voulant impartial est présidé par un président dit «indépendant». Ce dernier peut imposer des sanctions plus sévères, allant jusqu'à l'isolement de 30 jours.

Les agents sonnent l'alarme

Or, la première présidente indépendante pour le Québec n'est pas la seule à se montrer préoccupée de l'état du système. Un rapport rédigé par le syndicat des agents correctionnels du Canada en novembre dernier dresse lui aussi une liste de problèmes importants.

On y soulève entre autres des préoccupations d'ordre budgétaire: «Nous constatons [...] des résistances au niveau de certaines gestions locales de débloquer des fonds», peut-on lire. «Le sous-financement de la cour majeure devient une problématique ayant des conséquences sur la sécurité de l'établissement, des employés et du public», met-on en garde.

Les agents dénoncent aussi des retards importants dans le traitement de rapports d'infraction.

«Des correctifs majeurs doivent être apportés afin d'améliorer l'efficacité du régime disciplinaire dans son ensemble», recommande le syndicat.

«C'est honteux»

L'avocat Michel Dorval, prédécesseur de Marie-Claude Landry au poste de premier président indépendant, ne mâche pas ses mots. Il voit la dégradation d'un système qu'il a lui-même cherché à rendre plus efficace et impartial. «On est en train de défaire ce que j'ai fait pendant 10 ans», déplore le criminaliste.

«C'est honteux, ajoute Me Dorval. On veut ramener la fonction à ce qu'elle était lorsque j'ai commencé, c'est-à-dire des petits moutons qui suivent bêtement ce que le Service lui dit de faire.»

Ces préoccupations trouvent écho chez au moins une avocate qui plaide régulièrement devant la cour majeure. «C'est la population qui va payer pour ces erreurs-là», craint la juriste qui a requis l'anonymat, évoquant le rôle important que joue le régime disciplinaire dans la réinsertion des détenus.

Un ex-détenu s'est également plaint de l'état actuel des choses. «Ce sont toujours les mêmes juges qui viennent nous juger. Comment tu veux qu'ils partent sans idée préconçue?», a-t-il lancé lors d'un entretien téléphonique avec La Presse.

Selon ce dernier, la tension monte dans les établissements et l'état du régime disciplinaire y est pour quelque chose. «Quatre ou cinq jours avant que je m'en aille, il y a eu une émeute. En fait, ce n'était pas une émeute: les gars n'ont pas voulu rentrer dans leur cellule. C'est notre moyen de contester... On s'est fait gazer.»

Le SCC peu bavard

La sous-commissaire de Service correctionnel Canada responsable de la région du Québec, Johanne Vallée, a refusé de nous accorder une entrevue.

Dans une série de courriels, le département des communications du SCC a indiqué qu'au sujet de la rémunération des présidents indépendants, les règles établies par le Conseil du Trésor étaient suivies. Ces règles n'ont cependant pas été modifiées récemment.

Ni le Service ni le ministre n'ont reconnu l'existence des problèmes évoqués par la première présidente indépendante ou les nombreux intervenants du système.

«Le SCC a des discussions régulièrement avec les présidents indépendants au cours desquelles ils ont la chance de soulever leurs préoccupations, a déclaré une relationniste par courriel. Le SCC respecte leur opinion et continue de travailler en collaboration avec eux afin d'assurer l'équité et la justice des audiences disciplinaires et des décisions rendues.»