Le médecin dont 684 coloscopies douteuses réalisées à l'hôpital du Lakeshore devront être refaites avait déjà eu de nombreux démêlés avec des patients. Le Dr Gilles Bourdon a été radié temporairement en 2009 pour des fautes semblables à celles qui obligent aujourd'hui des patients à refaire des examens cruciaux.

Dans un autre dossier, il fait l'objet d'une poursuite commune de 400 000$ de la part de la fille d'un patient qui est mort. Un coroner s'est même interrogé sur la qualité de son travail. Des faits qui valent à l'hôpital de sévères critiques.

«Un médecin qui a autant de lacunes devrait faire l'objet de beaucoup de suivi, estime Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans les affaires médicales. Il ne faut pas le lâcher tant qu'on n'est pas certain qu'il a changé sa façon de faire.» L'avocat ajoute que le rappel massif fait par le Lakeshore soulève «beaucoup de questions» sur l'encadrement qui a été offert au chirurgien.

Mercredi, l'hôpital a annoncé que plus de 600 patients qui ont eu une coloscopie depuis 2009 devront repasser d'urgence l'examen au cas où il aurait été mal réalisé la première fois. De nombreuses erreurs décelées dans les dossiers du Dr Bourdon font craindre le pire. «Une évaluation laisse présager que des examens réalisés par un médecin oeuvrant dans l'établissement pourraient être incomplets», a expliqué l'hôpital, sans nommer le médecin en cause.

Les failles - de la documentation manquante ou incomplète qui laisse planer un doute sur la qualité des examens - ont été découvertes cet été grâce à une vérification de routine. L'hôpital a mis trois ans à se rendre compte de la situation. Pourtant, le médecin avait été radié deux mois en 2009 pour des fautes pratiquement identiques dans les dossiers de centaines de patients. À l'époque, le conseil de discipline du Collège des médecins avait justement sévi parce que le spécialiste ne remplissait pas ses dossiers postopératoires. «Bien qu'il ait reconnu l'importance de se conformer à la réglementation, il n'a pas convaincu le Conseil qu'il le fera, et ce, compte tenu qu'il aurait dû le faire bien avant», dit le jugement. Les craintes étaient fondées. Le chirurgien aurait conservé ses mauvaises habitudes après son retour au travail, selon ce qu'a révélé l'hôpital cette semaine.

Autre dossier

Dans un autre dossier, la famille d'un homme de 83 ans mort d'une récidive de cancer a intenté une poursuite de 400 000$ en juin 2011 contre l'hôpital, le chirurgien et plusieurs de ses collègues.

La fille du défunt affirme que le Dr Bourdon a mal suivi son père dans sa maladie. Elle l'accuse notamment d'avoir attendu près de cinq mois avant de lui faire part des résultats d'une tomodensitométrie du foie (scan) qui avait révélé des lésions cancéreuses. La plaignante, Dolia Ivanov Todorov, a aussi porté plainte au Collège des médecins et au Bureau du coroner, qui est allé jusqu'à recommander à l'hôpital du Lakeshore d'examiner «la qualité des soins prodigués à ce patient». «Quand une poursuite est intentée contre un médecin qui est déjà connu du Collège des médecins, il faudrait l'avoir à l'oeil», estime Jean-Pierre Ménard.

Fâchée, sa cliente ajoute: «Il y a des médecins qui ne devraient plus pratiquer, un ménage s'impose.» Comble du hasard, elle a eu dernièrement une coloscopie réalisée par le même médecin à l'hôpital du Lakeshore. «Je vais exiger des explications», prévient-elle, inquiète.

Plus surveillé

Au CSSS de l'Ouest-de-l'Île, on admet que le chirurgien aurait pu être plus surveillé. «Il était suivi mais, rétrospectivement, je crois qu'il aurait dû être mieux supervisé», reconnaît le Dr Richard Germain, président du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens. «On a appris beaucoup de choses avec cette histoire», a-t-il dit, ajoutant que l'important est que tous les patients aient été joints et qu'ils repassent l'examen.

Dans la foulée de l'affaire des coloscopies, le médecin a vu cet été son droit de pratique limité par le Collège des médecins. Il n'a plus le droit de faire des coloscopies ni des opérations dans un établissement public. Il s'est aussi engagé à ne procéder qu'à des consultations et à des interventions mineures en cabinet privé.

La Presse a tenté par plusieurs moyens de parler au Dr Bourdon. Il a été impossible de laisser un message à sa clinique. Le cabinet d'avocats qui le représente a refusé de nous mettre en contact avec lui.