Les policiers croient que les meurtres du chef du gang des Rouges et d'un autre caïd, le week-end dernier, pourraient être liés à une tentative de réorganisation complète de l'univers des gangs de rue. Ceux-ci seraient appelés à s'unir sous les ordres d'un chef unique et à abandonner les innombrables chicanes et rivalités qui les ont divisés depuis les années 90.

Selon ce qu'a appris La Presse, la police a l'oeil sur un puissant criminel qui fait circuler son message parmi les gangs montréalais, qu'ils soient affiliés à la famille des «Bleus» ou à la famille rivale des «Rouges».

Son mot d'ordre: tout le monde sera dorénavant obligé de travailler ensemble dans le commerce de la drogue. Fini les rivalités, les indépendants, «les Noirs qui travaillent les uns contre les autres». Les gangs de rue importants doivent être unis - sous son leadership.

Cet ambitieux «entrepreneur» est nul autre que Gregory Woolley, 40 ans, ancien protégé du Hells Angels Maurice «Mom» Boucher et premier Noir à avoir été admis dans l'organisation des Hells, pendant la guerre des motards des années 90.

Originaire de Port-au-Prince, Woolley a fait ses classes dans les gangs de rue, où il a accumulé les condamnations pour les crimes les plus violents. Il a été recruté par les motards, qui souhaitaient utiliser les meilleurs éléments des gangs de rue pour écouler leur drogue.

Woolley avait fondé à cet effet la «clique» des Syndicates, principalement constituée de jeunes Noirs issus des gangs de rue au service des motards.

Woolley est sorti de prison l'an dernier après une longue incarcération de 12 ans. Selon plusieurs sources concordantes, il a commencé à mettre de l'ordre dans les milieux criminels pour le compte des Hells Angels. Il est chargé de poursuivre la mission entamée avant son arrestation: amener les meilleurs membres de gangs de rue dans le giron des motards - et écarter les autres. Plusieurs sont d'accord avec son plan, mais d'autres refusent de rentrer dans les rangs.

Depuis les années 90, les gangs à prédominance haïtienne sont séparés en deux familles rivales, les Bleus (fondés dans le quartier Saint-Michel) et les Rouges (issus de Montréal-Nord). Des joueurs indépendants évoluaient aussi à travers cette constellation.

Chénier Dupuy, chef historique des Bo-Gars, le gang le plus important du clan des Rouges, faisait partie des «vieux irréductibles», selon nos sources. Dupuy avait fait la guerre contre les Bleus. La police l'a déjà enregistré pendant qu'il expliquait à sa soeur que son devoir était de «protéger le quartier», à Montréal-Nord. Il n'allait prendre d'ordres de personne.

Vendredi soir, le véhicule où prenait place Dupuy, dans le stationnement des Galeries d'Anjou, a été criblé de balles. «C'est tout un message», confie une source.

Quelques heures plus tard, Lamartine Sévère Paul, 42 ans, vétéran des Rouges, était assassiné derrière son immeuble de Laval par un tueur embusqué.

La Sûreté du Québec enquête sur ce deuxième homicide, alors que le Service de police de la Ville de Montréal travaille sur l'attaque contre Dupuy. Les deux services collaborent, car ils sont convaincus que les deux crimes sont liés.

Plusieurs sources ont confirmé à La Presse que les alliés des deux disparus préparent assurément des représailles. «Il y en a d'autres fous avec eux. Ça ne peut pas en rester là», dit l'une d'elles.

Un autre homme a été retrouvé assassiné samedi dans un appartement du centre-ville. Ricardo Ruffolo, 34 ans, avait un antécédent en matière de drogue, mais n'était pas connu comme un gros joueur. La police doute fort qu'il soit mêlé aux luttes de pouvoir chez les gangs de rue montréalais.

Surtout, les enquêteurs écartent pour le moment la possibilité que la libération prochaine de Vito Rizzuto, ancien parrain de la mafia, ait quoi que ce soit à voir avec les événements du week-end dernier. Certains policiers sont inquiets de voir de telles rumeurs reprises par certains commentateurs, car elles risquent de créer des conflits artificiels dans les milieux interlopes.