C'est avec les menottes aux poignets que le riche entrepreneur Tony Accurso a défilé sous l'objectif des caméras, jeudi matin, au quartier général de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Il sera accusé, avec trois complices allégués, d'avoir réussi à priver Revenu Canada de 3 millions de dollars.

L'enquête sur les allégations de corruption à l'Agence du revenu du Canada (ARC), baptisée projet Coche, permettra selon la GRC le dépôt de six chefs d'accusation contre Accurso, mais aussi contre Francesco Bruno, propriétaire de l'entreprise BT Céramique, Francesco Fiorino, comptable, et Adriano Furgiuele, chef d'équipe à Revenu Canada. Les faits qui leur sont reprochés remonteraient aux années 2007 à 2009.

Il est à noter que Bruno, cousin de Furguiele, n'a pas été arrêté chez lui. Il n'y était pas lors du passage des enquêteurs de la GRC. Il s'est présenté de lui-même au quartier général de la police fédérale, vers 13h35, après s'être annoncé aux enquêteurs.

Il est arrivé en taxi, portant une casquette et des lunettes fumées. Voyant les quelques représentants des médias qui l'attendaient, il a fait signe au chauffeur de le déposer un peu plus loin. Vaine démarche puisqu'il a été filmé et assailli de questions, auxquelles il n'a pas répondu. Il est entré dans l'immeuble et a demandé à parler au détective qui l'attendait.

Les quatre hommes sont tous accusés de fraude, de fabrication et usage de faux documents, de complot et d'abus de confiance envers un fonctionnaire de l'Agence de revenu du Canada.

Un système nommé Plan of Action

La GRC estime que Bruno et Accurso auraient, pour ce que l'enquête peut démontrer, privé le Canada de 3 millions de dollars en impôt, avec la complicité de leur comptable, Francesco Fiorino, et surtout d'Adriano Furguiele. Ancien chef d'équipe à Revenu Canada, il aurait mis au point un système nommé Plan of Action favorisant les deux hommes d'affaires.

«Un document intitulé Plan of Action aurait été rédigé par Furgiele, alors chef d'équipe à Revenu Canada. Ce plan en 17 étapes permettait de déjouer les vérifications légitimes de l'Agence du revenu du Canada et proposait diverses ruses telles que la fabrication de fausses factures, l'utilisation de prête-noms fictifs à l'étranger pour soustraire les sociétés d'Accurso et Bruno à certaines obligations fiscales au Canada», a précisé le porte-parole de la GRC, Luc Thibault.

Peu avant 9h, soit une heure après avoir été arrêté dans son domaine de Deux-Montagnes au retour d'une randonnée à vélo, Accurso est arrivé au quartier général de la GRC, boulevard Dochester, à Wesmount.

Cette fois, c'est à son arrivée qu'il a été paradé par les enquêteurs, menotté, le regard dur. Il n'a pas prononcé le moindre mot lorsque questionné par les journalistes. Il a été interrogé puis relâché, en attente de sa comparution le 19 septembre, comme les trois autres accusés.

Accurso avait récemment été arrêté par l'escouade Marteau, en compagnie du maire de Mascouche Richard Marcotte, dans le dossier de collusion dans le cadre de l'obtention de contrats municipaux dans cette ville.

La GRC indique qu'une cinquième personne a été interrogée par les enquêteurs dans cette affaire, mais n'est pas accusée pour le moment. L'enquête Coche est toujours en cours, dans le but de déterminer si d'autres contribuables auraient pu eux aussi bénéficier de ce Plan of Action.

Les arrestations d'hier matin découleraient de perquisitions menées au printemps 2009 dans les locaux de BT Céramique, entreprise de Bruno, et chez des entreprises pilotées par Accurso.

Il est à noter que les deux plus importantes sociétés d'Accurso, Simard-Beaudry Construction et Constructions Louisbourg, ont récemment écopé d'amendes de 4 millions de dollars après s'être reconnues coupables d'évasion fiscale en éludant cette même somme en impôt fédéral. En plus de l'amende, les entreprises ont dû rembourser le fisc.

Dans le cas présent, la GRC précise qu'il s'agit d'un autre dossier et que ce sont les personnes qui sont visées, Accurso et Bruno, et non leurs entreprises.

Quant à Bruno, sa société, BT Céramique, a abandonné sa licence d'entrepreneur il y a quelques mois. Elle logeait dans un immeuble du boulevard Henri-Bourassa, à Anjou, appartenant à Constructions Renda. Cette société a pour principaux actionnaires Libertina Rizzuto, veuve de Nicolo Rizzuto, parrain de la mafia assassiné en novembre 2010, ainsi que Paolo Renda et sa femme Giovanna Cammalleri. Renda a été enlevé il y a deux ans. On est toujours sans nouvelles de lui et plusieurs croient qu'il a été assassiné.

Bruno a quant à lui plaidé coupable d'évasion fiscale et dû payer une amende de 1,3 million de dollars en février 2011.

Enquête Colisée

L'enquête sur la possibilité d'une infiltration de l'Agence du revenu du Canada a débuté grâce à des informations obtenues pendant l'enquête antimafia Colisée. Une douzaine d'employés ou ex-employés de l'ARC auraient fait l'objet d'enquêtes, de l'ARC ou de la GRC. Neuf employés ont été congédiés ou suspendus.

En mai dernier, trois anciens fonctionnaires de l'Agence du revenu du Canada ont été arrêtés. Ils sont accusés d'avoir tenté de soutirer des pots-de-vin à des restaurateurs en échange d'une réduction de leurs cotisations d'impôt. Francesco Fazio, 55 ans, de Montréal, Elias Kawkab, 50 ans, également de Montréal, et Luigi Falcone, 50 ans, de Laval, font face à des chefs d'accusation allant de l'extorsion, de la corruption de fonctionnaires et des fraudes envers le gouvernement à l'abus de confiance par un fonctionnaire.

- Avec la collaboration de Vincent Larouche

 

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Francesco Bruno