Accusé du meurtre prémédité de sa femme, le juge à la retraite Jacques Delisle avait le choix de témoigner ou non lors de son procès pour meurtre. Il ne l'a pas fait. L'homme de 77 ans avait toutefois donné sa version des faits le 12 novembre 2009, le jour du drame, à des personnes appelées à intervenir dans le cadre de la mort de sa femme, Marie-Nicole Rainville.

Voici un bref rappel de ses propos, selon différents témoins entendus au procès.

10h32

À la préposée du 911, M. Delisle dit d'abord: «Madame, j'arrive à la maison, ma conjointe s'est enlevé la vie. Qu'est-ce que je fais?»

La préposée pose des questions. M. Delisle répond: «Il y a un revolver à côté d'elle.» Il poursuit en disant que «c'est une longue histoire: elle a subi un AVC, elle est paralysée du côté droit, elle s'est fracturé la hanche, elle a 71 ans». Il affirme aussi qu'il y a un code d'entrée pour pénétrer dans son immeuble, qu'il est énervé et qu'il va descendre pour attendre les policiers afin de les faire entrer.

10h39

Deux policiers, Jean-François Bégin et Richard Lord, arrivent à l'immeuble situé au 2201, chemin Saint-Louis. M. Delisle leur ouvre la porte. Dans l'ascenseur qui les conduit à l'appartement, au sixième étage, M. Delisle explique que sa femme s'est tiré une balle dans la tête, qu'elle a subi un AVC qui l'a laissée paralysée du côté droit, qu'il est juge à la retraite, qu'il s'est disputé avec elle le matin, qu'il a quitté l'appartement pour faire des courses sur l'avenue Maguire et qu'à son retour, il a trouvé sa femme couchée et inconsciente sur le canapé.

Une fois à l'étage de l'appartement, M. Delisle est prié de rester à l'extérieur pendant que les policiers entrent pour voir la scène. D'autres policiers arrivent un peu plus tard.

Vers 10h44, M. Bégin ressort de l'appartement pour tenir compagnie à M. Delisle. L'agent prend les noms et dates de naissance de M. Delisle et de sa femme. M. Delisle dit que l'AVC de sa conjointe est survenu le 14 avril 2007 et qu'il a laissé cette dernière complètement paralysée du côté droit.

10h45

Les ambulanciers arrivent. M. Delisle leur signale que c'est la volonté de sa femme de ne pas subir de manoeuvres de réanimation. Les ambulanciers entrent dans l'appartement sans répondre. M. Delisle dit à M. Bégin qu'il s'est disputé avec sa femme vers 9h le matin, et qu'il a ensuite quitté le domicile pour aller faire des courses chez Roset. En revenant, il a vu que sa femme s'était tiré une balle dans la tête.

11h05

M. Delisle confie à M. Lord que l'arme lui a été donnée il y a longtemps, lorsqu'il chassait les oiseaux migrateurs. Il a gardé l'arme à son bureau du palais de justice pendant des années, puis l'a apportée chez lui à sa retraite. Elle a toujours été chargée, n'a jamais été enregistrée et était rangée dans une boîte, sur une petite table près de la porte d'entrée de l'appartement. Il explique aussi qu'après avoir vu le pistolet par terre près de sa femme, il a enlevé le chargeur pour sécuriser l'arme. De fait, les policiers trouvent l'arme et son chargeur juste à côté, près de la main gauche de Mme Rainville, qui est étendue sur le canapé.

11h13

Les ambulanciers partent avec Mme Rainville sur une civière. Celle-ci est intubée. M. Delisle demande aux ambulanciers si sa femme est vivante.

«On fait tout ce qu'on peut», répond un des ambulanciers. Au moment où la porte de l'ascenseur se ferme, M. Delisle affirme que sa femme ne veut «pas de réanimation».

«On n'a pas le choix, tant que le décès n'a pas été constaté par un médecin», explique l'agent Richard Lord à M. Delisle. Selon ce dernier, M. Delisle dit ensuite: «Vous n'avez pas idée comment c'est dur de s'occuper de quelqu'un qui n'a pas son autonomie. Avant, quand je voyais des gens en fauteuil roulant, je ne pensais pas qu'il y avait des gens qui en prenaient soin. Ce n'est pas comme ça que je voyais ma retraite.»

M. Delisle aurait poursuivi en disant à l'agent Lord: «Je n'aurais pas dû m'énerver ce matin, je me suis laissé emporter. Je lui ai dit: «Est-ce que ça va finir un jour, tout ça?»» Selon M. Lord, M. Delisle a les bras crispés (comme un geste d'empoigne) quand il prononce ces paroles. M. Delisle se reprend rapidement en disant: «Non, non, je n'ai pas brassé ma femme, je n'ai jamais fait ça de ma vie.»

M. Delisle demande ensuite à aller à l'hôpital pour être avec sa femme. Dans la voiture de patrouille, il appelle sa fille, à qui il annonce qu'un «grand drame» vient de se produire à la maison, que sa mère s'est enlevé la vie et qu'il accompagne les policiers au Centre hospitalier de l'Université Laval (CHUL).

Vers 12h15

Deux enquêteurs du Service de police de la Ville de Québec (Josée Lajeunesse et Yves Simard) se présentent au CHUL pour faire le suivi concernant la mort de Mme Rainville.

12h40

Les enquêteurs sont avisés par le technicien en scène de crime qu'on observe une tache noire dans la paume gauche de la défunte, ce qui est intrigant. Pendant ce temps, M. Delisle fait les cent pas dans une salle réservée aux familles éprouvées. Ses deux enfants (adultes) et son gendre sont présents.

Un peu plus tard, les policiers avisent M. Delisle que des expertises sont menées chez lui et qu'il ne peut pas y aller pour le moment. Selon les policiers, M. Delisle est fâché, et le ton monte.

«Il n'y a personne qui va m'empêcher de rentrer chez moi, ou y conduire des expertises en mon absence», lance M. Delisle.

«Vous savez comment ça fonctionne, on a un job à faire. Si vous y allez avant, vous allez être accusé d'entrave», répond l'enquêteur Josée Lajeunesse.

«Je le sais ce que vous pensez, mais je ne l'ai pas tuée», rétorque M. Delisle.

13h30

Les policiers quittent l'hôpital. Mme Lajeunesse donne son numéro de téléphone à M. Delisle.

15h54

M. Delisle appelle Mme Lajeunesse et lui dit qu'il autorise la fouille de son appartement, mais qu'il veut être présent. La policière vient d'apprendre que l'enquête sera confiée à une escouade spécialisée, et relaie l'appel aux nouveaux enquêteurs.

Voilà ce que le jury a entendu.