Au lendemain de la mort de sa femme, Jacques Delisle est allé rejoindre sa maîtresse à leur lieu de rencontre habituel, le matin, à la bibliothèque Gabrielle-Roy, à Québec. «Il était pâle, bouleversé. Il m'a dit que sa femme s'était enlevé la vie. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter, qu'il ne donnerait pas de nouvelles, car il y aurait sûrement une enquête.»

C'est ce que Johanne Plamondon, jolie brunette de 57 ans, a raconté hier au procès de son ancien patron et amant, l'ex-juge Jacques Delisle. L'homme de 77 ans est accusé du meurtre prémédité de sa femme, Marie-Nicole Rainville. La femme de 71 ans, paralysée d'un côté, est morte d'une balle dans la tête, le 12 novembre 2009, dans le condo qu'elle occupait avec son mari à Sillery.

«On s'adonnait bien»

Hier, dans la grande salle du palais de justice de Québec presque remplie, Mme Plamondon s'est avancée à la barre sans jeter un seul regard vers M. Delisle, qui était assis à une table avec ses deux avocats et un expert en balistique. Ce n'était manifestement pas de gaieté de coeur que Mme Plamondon se trouvait là. Elle a répondu aux questions du procureur de la Couronne à voix basse et de manière plutôt laconique. Elle a commencé à travailler comme secrétaire pour M. Delisle en 1983, alors qu'il était juge à la Cour supérieure. Quand il a été nommé à la Cour d'appel, en 1992, elle l'a suivi. «On s'adonnait bien, ce n'est pas toujours le cas», a-t-elle dit. On avait du plaisir, de la considération. On est devenus amis.» Mme Plamondon connaissait les deux enfants de M. Delisle, mais pas sa femme, qu'elle n'a jamais vue.

Le juge et sa secrétaire étaient tous les deux mariés. Mme Plamondon soutient que ce n'est qu'en 2007 que leur relation est devenue intime et amoureuse. Et cela a commencé quelques mois avant que la femme du juge ne subisse un accident vasculaire cérébral, en avril 2007, qui l'a laissée paralysée du côté droit. M. Delisle et Mme Plamondon étaient discrets. «On allait dîner quand il faisait beau», a-t-elle dit, avant d'ajouter qu'il lui était aussi arrivé de prendre congé quelques après-midi pour être avec M. Delisle.

«Je l'aimais», a-t-elle résumé.

«On placotait»

En avril 2009, M. Delisle a pris sa retraite. Mme Plamondon pensait que sa liaison cesserait, mais ce ne fut pas le cas. «Il venait me voir le matin, on dînait ensemble.» Mme Plamondon a expliqué que le juge allait la rencontrer où elle descendait du bus, près de la bibliothèque Gabrielle-Roy, le matin. Il la conduisait à son travail, au palais de justice. «On placotait», a-t-elle dit.

«Vous ne faisiez que placoter?», a demandé Me Steve Magnan.

«On s'embrassait aussi, j'imagine», a-t-elle répondu avec un brin d'impatience.

À l'été 2009, Mme Rainville s'est fracturé une hanche et a été hospitalisée trois mois. Son cas est devenu encore plus lourd. M. Delisle a confié qu'il était question que sa femme aille vivre en résidence, et qu'après, Mme Plamondon et lui pourraient peut-être faire vie commune. Mais cela ne s'est pas concrétisé. Mme Rainville est rentrée à la maison à la fin du mois d'octobre, et elle est morte moins de deux semaines plus tard. Mme Plamondon a été informée de la mort le lendemain, soit le 13 novembre, et elle est allée au salon funéraire.

Au printemps 2010, M. Delisle a demandé à Mme Plamondon d'aller vivre avec lui. Mais la femme hésitait. Elle était en pleine dépression. «J'avais de la difficulté à me comprendre moi-même, a-t-elle dit, avant d'ajouter que M. Delisle s'était montré «très gentil et compatissant» avec elle. À l'été, ils devaient partir en croisière ensemble. Leur liaison était toujours secrète, mais en juin, Mme Plamondon s'est finalement décidée: elle irait vivre avec M. Delisle.

Le 13 ou le 14 juin 2010, Mme Plamondon a annoncé à son mari qu'elle le quittait et que M. Delisle allait la recevoir. Mais M. Delisle a été arrêté et accusé le 15 juin.

Questionnée sur l'arme à feu qui a causé la mort de Mme Rainville, Mme Plamondon a indiqué que M. Delisle lui en avait déjà parlé. Il l'avait déjà quand il était avocat. Il l'avait dans son bureau de juge, par la suite. Quand il a pris sa retraite, il a tout vidé, selon Mme Plamondon. Il lui aurait confié qu'il «essayait toujours de s'en débarrasser et ne savait pas comment faire». Elle se souvient toutefois avoir rempli un document pour le registre des armes à feu, avec d'autres armes du juge Delisle. Mais on sait que cette arme n'a jamais été enregistrée.

En contre-interrogatoire, Me Jacques Larochelle n'a posé qu'une seule question: il voulait savoir si, au printemps 2010, M. Delisle avait dit à Mme Plamondon qu'elle était libre de venir vivre avec lui ou non, et que si elle refusait, il ne reviendrait pas là-dessus. Mme Plamondon a dit que c'était exact.

La Couronne a fini sa preuve. Une discussion de point de droit se tient ce matin, et le procès reprendra en après-midi, probablement avec la preuve de la défense.