Un donneur de sperme connu de la mère biologique qui ne renonce pas clairement à sa paternité peut être légalement reconnu comme le père de l'enfant.

La Cour suprême vient de refuser d'entendre une cause dans laquelle la Cour supérieure puis la Cour d'appel du Québec ont reconnu la paternité d'un homme qui a accepté de concevoir un enfant avec une amie, une Montréalaise qui a élevé sa fille en tant que mère seule.

Trois ans près la naissance de l'enfant, la mère est morte d'un cancer. Le père biologique s'est alors rendu compte que son nom ne figurait pas sur l'acte de naissance et s'est adressé aux tribunaux pour que l'on reconnaisse son droit de filiation.

L'affaire remonte à 2002. La mère, alors âgée de 36 ans, désirait ardemment avoir un enfant. Après avoir entrepris des démarches auprès d'une clinique de fertilité pour avoir recours à une banque de donneurs de sperme anonymes, elle s'est tournée vers son ami, avec qui elle avait des rapports sexuels sans constituer un couple.

Ce dernier, qui était déjà père de deux enfants issus de précédentes unions, a accepté, mais il a affirmé qu'il ne pouvait pas s'engager financièrement. Plus tard, devant le tribunal, l'homme a affirmé que la mère lui aurait répondu qu'elle souhaitait seulement qu'il offre son affection à l'enfant. Il a par ailleurs déclaré que la mère lui avait indiqué qu'elle inscrirait son nom sur l'acte de naissance, ce qui n'a jamais été fait.

Le père biologique a admis avoir reçu une somme de 1400$ comme «récompense» pour avoir aidé son amie à concevoir un enfant de façon naturelle. L'homme ne contribuait pas financièrement à élever son enfant et ne la voyait que sporadiquement.

Malgré cela, les juges de première et de deuxième instance ont conclu que le père avait compris son rôle comme étant celui d'un père et non d'un «simple géniteur». Le lien de filiation a donc été reconnu.

La cause ne concerne pas la garde de l'enfant, mais pourrait avoir une incidence sur la question si un recours en ce sens était déposé. L'enfant vit actuellement avec ses grands-parents, qui sont octogénaires.

Droits des parents

La cause suscite des craintes chez plusieurs groupes qui défendent les droits de parents qui ont recours à la procréation assistée, particulièrement dans les cas où le donneur est connu. Trois groupes, dont la Coalition des familles homoparentales, à Montréal, ont déposé des déclarations sous serment devant la Cour suprême dans l'espoir que l'appel soit entendu.

Le Code civil du Québec prévoit que «l'apport de forces génétiques au projet parental d'autrui ne peut fonder aucun lien de filiation entre l'auteur de l'apport et l'enfant qui en est issu», sauf «dans l'année qui suit la naissance lorsque l'apport génétique se fait par relation sexuelle». Le demandeur doit toutefois «clairement savoir qu'il n'agit qu'à titre d'assistant» à la procréation.

Ainsi, comme le résume le juge André Rochon dans l'arrêt de la Cour d'appel du Québec, rendu en juin 2011, «de façon naturelle, l'on peut devenir père sans jamais avoir entretenu l'idée de l'être alors qu'en matière de procréation assistée, il faut accepter de ne pas l'être».

Les grands-parents de la fillette ont décidé de porter l'affaire devant le plus haut tribunal du pays, qui n'a jamais entendu une cause de paternité, en citant que la loi était floue dans un contexte où de plus en plus de personnes décident de former une famille de façon non traditionnelle.

L'un des avocats de la famille de la mère, Me Michael Lubetsky, a expliqué que la décision de la Cour suprême de ne pas entendre la cause risque de décourager les parents qui souhaitent se tourner vers une personne dans leur entourage plutôt que vers une banque de sperme s'ils ont recours à la procréation assistée. «Je pense qu'il faut retenir qu'il est très important de documenter les attentes de tout le monde lorsque l'on planifie de se tourner vers un tiers lorsque l'on fonde une famille. Ce n'est pas très romantique, mais il est fortement suggéré de s'adresser à un avocat ou à un notaire», affirme Me Lubetsky.