Éric Nadeau a été infiltrateur, c'est-à-dire qu'il est entré chez les Bandidos pour le compte de la police de Montréal, en pleine guerre des motards. Normand Brisebois a eu une trajectoire inverse: il a commencé à collaborer avec la SQ alors qu'il était membre du Dark Circle, affilié aux Rock Machine. Mais les deux partageaient la même hantise: celle d'être démasqués, car cela signifiait à coup sûr la mort après une «balade» en auto, comme dans un épisode des Soprano.

Frayeurs qu'ils se remémorent aujourd'hui avec l'affaire Ian Davidson.

Éric Nadeau connaissait Ian Davidson «de nom». «C'est incroyable, un gars qui avait 33 ans de service, dit-il. Il connaissait la game. Il avait prémédité son geste avant la retraite. Il emporte ses secrets avec lui.»

Sa mort, selon lui, ne règle rien, au contraire. Éric Nadeau croit que le recrutement d'agents civils infiltrateurs (à ne pas confondre avec délateurs, insiste-t-il) va se compliquer à la suite de cette histoire au dénouement «tragique».

«Notre travail est une profession de foi. On y va avec l'idée qu'on est appuyé à 100%. Jamais on n'imagine que le danger peut venir de l'intérieur, même si ça m'est arrivé de me poser cette question. Il n'y avait que de trois à cinq personnes au SPVM, dont mes contrôleurs, qui savaient qui j'étais. Pour les autres policiers, j'étais un motard.»

Normand Brisebois, pour sa part, n'a «jamais fait confiance à la SQ». Il vit caché sous une fausse identité depuis sa libération, en 1996, après avoir été condamné pour complot de meurtre. Il a réclamé 6 millions de dollars au gouvernement du Québec pour non-respect de son contrat, tout comme deux autres de ses «ex-collègues» délateurs. Déboutés récemment, ils ont porté leur cause en appel.

«Il a fallu plusieurs années après ma sortie de prison avant que j'obtienne une nouvelle identité, a-t-il confié à La Presse. J'ai acheté deux maisons et travaillé sous mon vrai numéro d'assurance sociale jusqu'en 2003. Mon vrai nom est resté actif dans le système de la SQ jusqu'en 2008. Ils auraient pu me retrouver facilement, avec une taupe à la SAAQ, par exemple.»

Divulgations à la pièce?

Normand Brisebois redoute que l'ex-analyste du SPVM ait divulgué des noms à la pièce avant de décider de vendre toute la liste aux Italiens pour 1 million de dollars, un scénario «digne de Mission impossible avec la liste NOC de Tom Cruise».

«Cette histoire me semble beaucoup plus grosse que ce que l'on raconte officiellement, dit Brisebois. Si d'autres ont obtenu ces informations, jamais les policiers ne l'avoueront. Moi, je crois que des noms de sources sont sortis quand même.»

«J'ai hâte de voir la suite, poursuit Normand Brisebois. À la base, on est dans un milieu paranoïaque où chacun craint tout le temps que l'autre marche avec la police. Mais là, tous ceux qui ont donné des renseignements ou qui sont agents sources, petits bums ou hauts placés dans la mafia, sont dans le néant. Ils vont se poser des questions avant de refiler des infos sur le clan Rizzuto, et peut-être même changer de carrière. Dans le doute, mieux vaut toujours se retirer. La police va perdre des agents.»

Éric Nadeau anticipe aussi des «purges de paranoïa» dans les prochains mois. «Avec près de 2000 noms sur la liste, leurs chefs savent qu'il y a de forts risques qu'il y ait au moins une taupe dans leurs rangs. Au moindre doute, les suspects vont être éliminés.»

Enfin, tant Nadeau que Brisebois semblent perplexes quant à la somme de 1 million qu'aurait réclamée Ian Davidson. Une somme ridicule comparativement aux profits que réalise la mafia et aux sommes qui sont en jeu dans ses différents trafics, fait remarquer Normand Brisebois. Une aubaine à tous points de vue pour la mafia, renchérit Éric Nadeau. «Ils auraient certainement revendu les noms qui ne les concernaient pas aux autres groupes concernés et réalisé un profit au final», ironise-t-il.