L'itinérant tombé sous les balles de la police vendredi était connu comme «un bon gars» par ceux qui le cotoyaient. Mais la vie de Farshad Mohammadi a été marquée par la drogue, la guerre et les troubles mentaux, comme l'a raconté son meilleur ami, qui a accepté de se confier à La Presse.

Farshad Mohammadi, ce sans-abri tué par la police de Montréal vendredi, était considéré par ceux qui le connaissaient comme un homme calme, solitaire et généreux. Mais aussi comme un homme dévoré par ses démons intérieurs: la drogue, les troubles mentaux et des souvenirs difficiles de la guerre qu'il aurait menée aux côtés des rebelles kurdes contre le gouvernement iranien.

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«C'était un bon gars au fond, mais il n'avait pas de médicaments. Une personne malade, comme lui, pourquoi ne pas le soigner plutôt que lui tirer une balle? On les laisse dans la rue!», s'insurge Ehsan*, un proche ami du défunt.

Grâce à l'aide de bénévoles de l'Accueil Bonneau, La Presse a pu rencontrer Ehsan, lui-même d'origine kurde, qui nous a été présenté comme celui qui était «le meilleur ami» de Farshad Mohammadi depuis plusieurs années.

Selon lui, l'immigrant de 34 ans caressait le rêve de déménager à Ottawa pour se reprendre en main.

«Je l'ai vu la journée du chèque (d'aide sociale). Il voulait partir en train ou en autobus. Il disait qu'à Ottawa, c'est la capitale, il y a plus d'emplois. On a fumé un joint, je lui ai donné la main, et il est parti», raconte-t-il.

C'est seulement dimanche qu'Ehsan a appris la mort de son ami par les médias.

«Mon coeur a failli arrêter», dit-il, visiblement bouleversé.

Même s'il était «très renfermé», Farshad Mohammadi lui avait raconté son parcours de vie difficile.

Il disait venir de la petite ville de Khamiran, dans la province d'Ispahan, en Iran. Il aurait joint la rébellion armée kurde, puis, craignant pour sa vie, il aurait été forcé de fuir son pays.

Barbier et réfugié politique

Farshad Mohammadi disait avoir vécu brièvement dans le nord de l'Irak, avant d'arriver à Halifax, puis à Montréal, où il se présentait comme un barbier et un réfugié politique.

«Il m'a déjà coupé les cheveux, il était bon, un vrai barbier», résume Ehsan.

Mais l'ancien rebelle traînait des problèmes mentaux, selon son ami. Il avait parfois du mal à dormir la nuit. Il aurait notamment consommé de l'héroïne.

«Je savais qu'il avait besoin d'aide. Je ne l'ai jamais vu être violent, mais il s'est sauvé de ses problèmes et ça ne l'a pas aidé. Il n'a jamais voulu se faire soigner», explique Ehsan.

Ce dernier croit que le jour de sa mort, son ami a pu avoir des flash-back de la guerre en Iran lors de son altercation avec la police.

«Dans son coeur, c'était une bonne personne. Mais avec la drogue et son passé... Les rebelles, ce n'est pas comme l'armée. Ils vivent dans les montagnes avec le stress, la pression...»

Les circonstances du drame demeurent floues. Il semble que Farshad Mohammadi sommeillait dans l'édicule de la station de métro Bonaventure, comme le fait tous les jours un petit groupe de vagabonds fréquentant régulièrement la Mission Bon Accueil, située tout près.

Deux policiers du SPVM l'auraient approché, et Mohammadi aurait disjoncté, exhibant un exacto avec lequel il aurait blessé un des agents au visage, dans le cou et à l'abdomen.

Il aurait ensuite commencé à marcher vers l'escalier menant à la rue de la Cathédrale. Le policier blessé, un homme dans la mi-trentaine cumulant une quinzaine d'années d'ancienneté au SPVM, l'aurait mis en joue et sommé de s'immobiliser. Aidé d'un tout jeune agent, le policier aurait même tenté de l'immobiliser en se servant de son bâton, en vain.

Les coups de feu ont suivi. C'est le policier blessé qui aurait fait feu. L'autre a été hospitalisé pour un choc nerveux.

Incompréhension

Aucune des autres personnes interrogées par La Presse ne comprend ce qui a pu mener à un tel drame.

À la Mission Bon Accueil, où Mohammadi a logé les quatre jours précédents sa mort, on garde un bon souvenir de lui.

«C'est un monsieur qu'on connaît depuis 2008. Il passe son temps entre trois refuges. À Noël et au jour de l'An, il était à la Maison du Père, et les quatre derniers jours avec nous. C'est un monsieur bien tranquille, on n'a jamais eu de problème avec lui. Même qu'on voulait l'embarquer dans nos programmes de transition, pour l'aider à trouver autre chose à faire, un emploi et un toit. Mais ça ne l'intéressait pas», raconte le président-directeur général de la Mission, Cyril Morgan.

Mohammadi aurait même effectué dans le passé de petits travaux bénévoles dans ce centre pour hommes itinérants.

«Quand je suis arrivé, c'est lui qui m'a donné mon training. Il me montrait quoi faire», raconte un autre itinérant qui fréquente le refuge.

Un sans-abri d'âge vénérable qui affirme passer ses journées à la station Bonaventure depuis cinq ans confirme que Mohammadi était renfermé.

«C'est un gars qui se tenait seul, qui ne parlait à personne. Un gars de la file comme on dit. Ça veut dire qu'il était dans la file chaque soir pour manger, mais qu'il ne résidait pas ici», indique un autre homme rencontré à la Mission Old Brewery.

C'est d'ailleurs à cet endroit qu'on lui attribue son seul antécédent d'agressivité.

«En 2009, nous l'avions suspendu pour une période temporaire, car il avait commis une voie de fait envers un membre du personnel», indique le directeur général, Matthew Pearce.

La même année, Farshad Mohammadi avait été condamné à un jour de prison et à deux ans de probation sans surveillance pour une introduction par effraction. Lorsqu'il a reçu sa sentence, il venait toutefois de passer près de sept mois derrière les barreaux en détention préventive dans cette affaire.

*L'ami de Farshad Mohammadi a accepté de se confier à condition d'être identifié sous un nom fictif.

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Le maire Tremblay veut plus de ressources

Le maire de Montréal a profité d'une visite à l'accueil Bonneau hier pour demander plus de fonds pour l'aide aux sans-abri. «Le maire a fait savoir qu'il a demandé cet été au gouvernement du Québec de consacrer plus de ressources afin d'offrir des services appropriés et répondre aux besoins particuliers des sans-abri», explique son attachée de presse, Ariane Lareau. Gérald Tremblay a souligné que beaucoup de sans-abri souffrent de problèmes de santé mentale et que les autorités doivent s'occuper de cette situation «de plus en plus complexe». Il a dit souhaiter qu'avec l'accompagnement nécessaire, ces personnes puissent intégrer la société «avec dignité». - Vincent Larouche