Ce qui est arrivé mardi matin est «inacceptable, incompréhensible», et ce qui l'est tout autant, c'est que les événements ne seront jamais éclaircis. «Ce seront encore des policiers qui enquêteront sur d'autres policiers, et cela fera comme pour Richard Barnabé ou Jean-Pierre Lizotte: on ne saura jamais toute la vérité.»

C'est du moins ce que prédit Pierre Gaudreau, coordonnateur du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal.

S'il plaint les policiers qui, au terme de cette opération, ont subi tout un choc, M. Gaudreau doute que l'enquête soit menée de façon orthodoxe. «Déjà, les policiers en cause ont rencontré des psychologues, leurs commandants... Moi, si je tirais sur quelqu'un dans la rue demain matin, je serais aussitôt interrogé par un enquêteur, avec la seule présence de mon avocat.»

«Je ne dénonce pas le fait qu'il y ait eu intervention policière - c'était sans doute nécessaire -, mais j'en dénonce la nature. À tout prendre, sans doute le pistolet électrique aurait-il été préférable dans ce cas-là. Là, on se retrouve avec deux victimes et avec quatre policiers qui devront vivre avec cela pour le reste de leurs jours.»

Un mythe

Toute la journée, hier, plusieurs disaient dans les médias que rien de cela ne serait arrivé sans la «désinstitutionnalisation», qui a fait plein de sans-abri.

Or, le psychiatre et chercheur Alain Lesage, affilié au Centre de recherche Fernand-Seguin de l'hôpital Louis-H.-LaFontaine, sans se prononcer sur ce cas précis, note toutefois que, en réalité, les sans-abri n'ont pour la plupart jamais été internés et que, partant, ils ne sont pas des produits de l'abolition du système asilaire.

Au surplus, dit-il, c'est un mythe de penser que les personnes qui sont réellement sorties d'un asile psychiatrique se retrouvent à la rue. Le Dr Lesage en veut pour preuve l'étude qu'il a réalisée sur des patients hospitalisés en psychiatrie, publiée en 2000. De la cohorte qu'il a suivie pendant plus de 15 ans, seulement 1% des gens qui avaient réellement été retirés de l'hôpital se sont retrouvés à la rue.

Le Dr Lesage croit en fait que l'abolition du système asilaire était et demeure une bonne idée, ce qui ne veut pas dire que les gens atteints de troubles mentaux reçoivent un suivi adéquat. Au contraire. «Les soins à domicile manquent, les équipes et les budgets ne sont tout simplement pas là et le suivi n'est pas suffisant», se désole-t-il.

Si la solution n'est pas de construire de grands hôpitaux et d'y interner de nouveau tout le monde, sans doute faudrait-il tout de même ajouter quelques lits en psychiatrie. Cela aiderait d'autant plus, indique le Dr Lesage, que les études démontrent que de trop courtes hospitalisations augmentent le risque de réadmission.

D'autres études indiquent aussi que l'espérance de vie des gens atteints de troubles mentaux graves - la schizophrénie, notamment - est réduite de 25 ans. Parfois parce qu'ils se suicident, mais bien plus souvent parce qu'ils meurent prématurément de cancer ou de maladies cardio-vasculaires. «Leurs habitudes de vie sont en cause, mais aussi le fait qu'ils vivent de l'aide sociale. Essayez d'acheter beaucoup de légumes et de fruits, avec si peu d'argent... Aussi, la littérature médicale nous apprend que la personne atteinte de troubles mentaux qui a besoin d'un traitement médical rapide - en raison d'une crise cardiaque, par exemple - sera traitée dans un délai bien plus long qu'une autre personne.»

Sans compter, dit-il, qu'une personne souffrant de troubles mentaux ou qui est sans abri «ne recevra pas le même regard de compassion qu'une autre quand elle se présente dans une clinique sans rendez-vous», fait observer le Dr Lesage.

Deuil et tristesse

Suzanne Carrière, directrice des services généraux et des programmes spécifiques au CSSS Jeanne-Mance (qui offre divers programmes d'aide aux sans-abri), fait remarquer pour sa part que Mario Hamel n'était pas vraiment à la rue, qu'il n'était pas sans domicile à proprement parler. «Il habitait depuis plusieurs années dans une maison supervisée par l'Accueil Bonneau.

Aubin Boudreau, directeur de l'Accueil Bonneau, n'a aucunement critiqué le travail des policiers, avec lesquels la collaboration est généralement bonne, a-t-il souligné.

Cela dit, «pourquoi cela s'est-il passé, cette fois? Pourquoi cela s'est-il terminé par deux victimes?». M. Boudreau attend lui aussi des réponses.