Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, a reconnu mercredi que la décision rendue par le juge James Brunton, qui a relâché 31 prévenus accusés de gangstérisme depuis le printemps 2009, mérite d'être éclaircie.



Insistant sur le respect qu'il éprouve pour le magistrat, M. Fournier n'en a pas moins soulevé des doutes sur l'appréciation qu'il a faite de la situation avant de rendre sa décision.

«J'ai certains questionnements à la lecture du jugement, a dit le ministre en conférence de presse. L'État du droit reconnaît que le poursuivant (la Couronne) est maître de sa preuve; il a sa stratégie de poursuite. Pourquoi le juge décide-t-il d'être seul maître de la cause?»

Il faudra aussi expliquer ce qui a guidé le juge quand il a décidé de «se donner le pouvoir de séparer les accusés» - 124 sont restés sous les verrous -, contre la volonté de la Couronne. Après avoir créé deux groupes, le juge Brunton a décidé que les cas de trafic de stupéfiants seraient entendus en dernier. Le ministre a paru embarrassé quand on lui a demandé s'il pouvait assurer que l'on pourrait rattraper tous les prévenus libérés si la Couronne l'emporte en appel.Enfin, a dit le ministre, on s'interroge sur l'analyse «statique, figée dans le temps, sur 12 ans» qu'a faite le juge des moyens du système judiciaire. Le juge a soutenu que, avec le nombre de salles disponibles, on ne pouvait voir la fin du superprocès avant 2023, un «délai anticipé déraisonnable». «Le ministère de la Justice a toujours été en mesure de répondre aux besoins de la Couronne pour le procès SharQc», a insisté le ministre Fournier.

«Il y a 124 accusés pour lesquels le procès se poursuit», a-t-il rappelé, expliquant qu'il devait «faire preuve de la plus grande prudence» dans ses propos.

«Un gâchis»

En matinée, à l'Assemblée nationale, le président Jacques Chagnon a demandé aux députés de faire attention aux questions susceptibles de perturber le procès des motards qui n'ont pas été libérés.

Mais cette mise en garde n'a pas freiné la chef péquiste, Pauline Marois. «C'est un gâchis, le gouvernement disait qu'il voulait voir les criminels en prison et non à la télévision. Hier, on voyait des criminels à la télévision sortir de prison, ils sont plutôt devant la télévision!», a-t-elle lancé, lapidaire. «C'est le plus gros procès criminel de l'histoire du Québec, si on refuse de faire porter la responsabilité au ministre de la Justice, encore une fois, personne ne va assumer la responsabilité!», a-t-elle fait valoir. «Belle victoire pour les motards! C'est un triste jour pour la justice», a déploré la critique du PQ en matière de justice, Véronique Hivon.

Sylvie Roy, députée adéquiste, a quant à elle tourné ses canons vers le directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Louis Dionne. «La libération hier des 31 criminels est l'illustration la plus éloquente de l'état de délabrement dans lequel notre système de justice se trouve. Tous les ministres de la Justice se sont servis du DPCP comme paravent pour abdiquer leur responsabilité. On nous répète ad nauseam que ce fonctionnaire permettrait de gérer mieux les superprocès. Quel résultat spectaculaire! Des milliers d'heures de travail des policiers mises à la poubelle. Même ses employés, les procureurs de la Couronne, réclament sa démission!», a-t-elle lancé.

En réplique, Jean Charest a rappelé que le gouvernement «est aussi déterminé à poursuivre les criminels, à les amener devant les tribunaux, à présenter la preuve et à ce qu'ils soient jugés et, dans certains cas, mis en prison. Le ministre de la Justice jouit d'une totale confiance du gouvernement.»