Paolo Renda, 70 ans, tenait un rôle de modérateur dans la mafia depuis l'arrestation du parrain, Vito Rizzuto, en janvier 2004. Jusqu'alors, Rizzuto faisait régner une forme de pax mafiosa à Montréal. Après son incarcération, le milieu interlope a été marqué par des incidents déraisonnables. Renda a essayé de ramener l'ordre, en vain. Pire: il a dû sortir de l'ombre confortable où il se tenait depuis des années.

Des vendeurs de drogue indépendants se sont mis à écouler leur camelote au centre-ville. C'était le cas d'Essy Navad Noroozi. Né en Iran, il importait de l'héroïne brune et bon marché de son pays natal ou d'Afghanistan. Le 18 avril 2004, le caïd Lorenzo Giordano l'a aperçu au Globe, un chic restaurant du boulevard Saint-Laurent.

Il a entrepris de le battre sur place, puis lui a tiré une balle dans les testicules. Noroozi a refusé d'identifier son assaillant. Mais la police a capté une conversation intéressante grâce à des micros dissimulés au Consenza, un bar qui servait de quartier général au clan Rizzuto. Paolo Renda recommandait à Giordano de ne pas trop boire. Et, surtout, de ne pas déclencher des fusillades qui risquaient «d'attirer l'attention».

Renda, consigliere de Vito Rizzuto et de son père, Nicolo, n'a jamais voulu attirer l'attention. Né en Sicile le 10 septembre 1939, il a vite intégré les préceptes de la bonne conduite mafieuse: agir dans le silence. Sa famille était liée aux Rizzuto. Son père, Calogero, était le frère de Maria Renda, mère de Nicolo Rizzuto et donc grand-mère de Vito.

Les liens du sang

Paolo Renda a immigré au Canada avec ses parents en 1954, puis il a épousé la soeur de Vito, Maria Rizzuto. Il renforçait ainsi les liens du sang. Un geste apprécié, la mafia estimant que cela limite les risques de trahison. En 1968, Renda a commis son premier crime avec Vito Rizzuto, son nouveau beau-frère. Les deux jeunes hommes ont versé de l'essence sur le plancher du salon de coiffure de Renda, le Renda Barber Shop, dans un petit centre commercial de Boucherville. Le but: toucher les indemnités d'assurance. Lorsque les pompiers et les policiers sont arrivés, ils ont vu Renda par terre, les vêtements encore fumants. Il a passé les trois années suivantes en prison.

À l'époque, la mafia montréalaise était dirigée par les Calabrais. Vic Cotroni s'était trouvé un héritier détesté par la faction sicilienne: Paolo Violi. Le clan Rizzuto l'élimina. Les policiers ont toujours pensé que l'assassinat avait été planifié par le père de Paolo, Calogero Renda, mais celui-ci ne fut pas accusé. Paolo Renda lui-même fut soupçonné. Un mandat d'arrêt fut lancé contre lui. Il s'enfuit au Venezuela avant même que le mandat ne soit signé et ne revint à Montréal que lorsqu'il fut annulé. À son retour, les Siciliens avaient pris le pouvoir. Il fut hissé au rang de consigliere, troisième personnage en importance après son cousin Nicolo Rizzuto et son beau-frère Vito.

Il a déménagé peu après dans l'avenue Antoine-Berthelet, à côté des Rizzuto. Il y a toujours sa résidence: une demeure évaluée à 470 400$. Il a fondé la société Construction Renda, dont il est toujours actionnaire avec la femme et la fille de Vito. La Régie du bâtiment a annulé sa licence de constructeur le mois dernier.

Renda établissait des liens avec des hommes d'affaires. Il a pris l'initiative de donner un cadeau à Frank Catania, fondateur de Construction Frank Catania, lors de son départ à la retraite. Il a loué des locaux à Francesco Bruno, de B.T. Céramique, aujourd'hui accusé d'avoir commis des actes criminels en aidant des sociétés de l'entrepreneur Tony Accurso à éluder le paiement de plusieurs centaines de milliers de dollars d'impôts.

Surveillé par la police

La police a photographié et filmé Renda à quelques occasions. Le 13 juillet 2002, il a été vu au mariage de la fille d'Emanuele Ragusa, proche collaborateur des Rizzuto, avec Vito et Agostino Cuntrera, jadis condamné pour complicité dans le meurtre de Paolo Violi.

Vito Rizzuto allait bientôt être arrêté, extradé et condamné aux États-Unis pour sa participation au meurtre de trois capitaines de la famille Bonanno à New York. La GRC a lancé l'opération Colisée, destinée à affaiblir au maximum la mafia montréalaise. Elle a dissimulé des micros au Consenza, rue Jarry, à Saint-Léonard. C'est ainsi qu'elle a pu prendre conscience de l'importance de Paolo Renda, qu'elle a filmé en train de percevoir des liasses de billets de banque.

Vito était en prison; Renda dirigeait une partie des activités de racket avec le vieux Nicolo Rizzuto et des hommes un peu plus jeunes que lui: Rocco Sollecito, Francesco Arcadi, Lorenzo Giordano et Francesco Del Balso. Ces six dirigeants ont été arrêtés en 2006, ainsi qu'une centaine de membres et de collaborateurs de la mafia impliqués dans toutes sortes de trafics.

Deux ans plus tard, Renda a plaidé coupable à des accusations de recel d'argent et de gangstérisme. Les accusations les plus graves, liées au trafic de drogue et à d'autres activités illicites, étaient tombées faute de preuves. En février dernier, il a obtenu sa libération conditionnelle. Jusqu'au mois d'octobre, il devait présenter chaque mois un bilan de ses revenus et de ses dépenses et s'abstenir de fréquenter d'autres repris de justice. Il lui était interdit d'avoir avec lui un téléavertisseur, un téléphone cellulaire et, bien sûr, une arme.

Âgé de 70 ans, il menait une vie plutôt tranquille chez lui, avenue Antoine-Berthelet. Les raisons de sa disparition restent mystérieuses. Une seule chose est sûre: la famille Rizzuto subit de graves attaques depuis l'arrestation de Vito. La mafia est en pleine réorganisation. Plusieurs sources affirment que les tensions ont resurgi entre Siciliens et Calabrais, qui pourraient être tentés de reprendre leur pouvoir perdu.