Les frères de Sainte-Croix étaient de retour devant le juge Claude Auclair, hier, afin de demander un délai supplémentaire de six mois pour indemniser les victimes d'agressions sexuelles. Ils devront finalement retourner en cour le 5 mars. Trop long, déplorent les victimes.

À l'âge de 24 ans, armé d'un pistolet, Paulimus est retourné au collège de Saint-Césaire avec l'idée de faire un mauvais parti au frère qui l'avait attaché, sodomisé et mordu, une douzaine d'années auparavant. Heureusement, ce jour-là, son sombre projet n'a pas abouti. Aujourd'hui, Paulimus a 60 ans. Comme 219 autres compagnons d'infortune, il attend d'être indemnisé par les frères de la congrégation de Sainte-Croix.

Des Paulimus (nom fictif), il y en avait une cinquantaine, hier au palais de justice de Montréal, à piaffer d'impatience pour que le recours collectif contre les frères de Sainte-Croix se règle une fois pour toutes. Des hommes de 40, 50, 60 ans qui ont vécu leur vie sans jamais oublier.

Les frères étaient de retour hier devant le juge Claude Auclair afin d'obtenir une autre prolongation de délai. Il y a 14 mois, lors de pourparlers en vue d'un règlement, ils se sont engagés à verser 18 millions pour régler le litige. L'argent doit être partagé entre les élèves qui ont été agressés sexuellement par des frères ou des laïcs, pendant qu'ils fréquentaient le collège Notre-Dame de 1950 à 2001, le collège de  Saint-Césaire, de 1950 à 1991, et l'école Notre-Dame de Pohénégamook de 1959 à 1964.

Les parties s'attendaient à recevoir environ 150 demandes d'indemnisation. Elles en ont reçu près du double. Certaines demandes ont été rejetées parce qu'elles ont été jugées non crédibles ou non conformes. Il en reste actuellement 220. Au départ, le recours devait être réglé pour septembre 2012, mais les frères ont demandé des prolongations de délai parce que la tâche serait plus complexe que prévu.

Les réclamants n'ont pas tous droit à la même somme puisque l'indemnisation est calculée en fonction de différents facteurs, comme la fréquence et le type d'agressions, les séquelles, etc. Les sommes allouées vont de 10 000$ pour les cas les plus légers à 250 000$ pour les pires. Paulimus, qui se classe parmi les cas les plus graves, doit pour sa part recevoir 200 000$, mais il se demande s'il verra un jour la couleur de cet argent. Un autre, qui a subi des attouchements à deux reprises au collège de Saint-Césaire, s'est fait offrir 10 000$, qu'il refuse parce qu'il juge l'offre trop basse.

Deuxième adjudicateur

Hier, le juge Claude Auclair s'est entretenu avec les avocats des deux parties afin de trouver une manière d'accélérer le processus. Ils ont finalement décidé de nommer un deuxième adjudicateur. Retraité depuis quelques jours de la Cour d'appel, le juge André Forget prêtera donc main-forte à son ancien collègue Paul-Arthur Gendreau. Les adjudicateurs interviennent quand il y a une contestation. Actuellement, 129 des 220 demandes ne sont pas réglées et pourraient être soumises à l'adjudicateur.

Sébastien Richard, porte-parole des victimes, croit que les frères font délibérément traîner les choses, notamment en exigeant des preuves impossibles à trouver. Il est incapable de chiffrer le nombre de frères pédophiles, dont certains sont morts. Les victimes sont représentées par Me Alain Arsenault.

Me Éric Simard, qui représente la congrégation, assure que les frères veulent au contraire que tout se règle le plus vite possible. «Nous allons tout mettre en oeuvre pour finaliser le processus le plus rapidement possible. La congrégation a toujours exprimé son désir d'indemniser toutes les victimes», a-t-il dit, hier, au terme de la séance.

Les pourparlers se poursuivront en janvier et en février. Parmi les victimes rencontrées hier, plusieurs ont signalé qu'elles avaient dénoncé leurs agresseurs à l'époque. Mais personne ne voulait les croire, à commencer souvent par leurs propres parents.

Rappelons que le recours collectif a été intenté en 2008 par René Cornellier, père d'un homme qui a été agressé dans son enfance au collège Notre-Dame et qui est mort en 1994. M. Cornellier avait appris les sévices infligés à son fils dans un reportage publié par The Gazette en 2008. Le recours collectif a été élargi plus tard afin d'inclure les deux autres établissements.

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Quelques moments-clés 



Décembre 2006

Le frère de Sainte-Croix Claude Hurtubise est acquitté d'accusations d'attentat à la pudeur contre deux élèves du collège Notre-Dame. La version du religieux était «douteuse à plusieurs égards», avait toutefois estimé la juge Rolande Matte.

Décembre 2008

Le quotidien The Gazette révèle que des agressions sexuelles ont été commises dans les établissements d'enseignement des frères de Sainte-Croix, à Montréal, Saint-Césaire et Pohénégamook. Selon le journal, ue somme de 250 000$ avait été versée à une victime pour s'assurer de son silence, et l'état-major de la congrégation avait été très tôt informé de ces agressions sexuelles.

Mars 2009

Un groupe de victimes intente un recours collectif contre la congrégation de Sainte-Croix et le collège Notre-Dame. En décembre 2010, la requête se dirige vers la conciliation.

Octobre 2011

Dans une entente à l'amiable, la congrégation s'engage à présenter des excuses aux victimes et à leur verser jusqu'à 18 millions de dollars en compensation.

- Philippe Teisceira-Lessard