Le fils de Zahra Kazemi aura une dernière chance d'obtenir une certaine forme de justice pour sa mère: la Cour suprême accepte d'entendre sa cause et de se pencher sur la validité des lois qui empêchent de poursuivre des États étrangers.

La photojournaliste canadienne Zahra Kazemi a été arrêtée en Iran, son pays d'origine, alors qu'elle y effectuait un reportage sur des manifestations devant la tristement célèbre prison d'Evin à Téhéran. Elle a été jetée en prison où elle aurait été torturée et violée avant d'être assassinée en 2003.

Un médecin du ministère iranien de la Défense - qui a depuis cherché asile au Canada - a déclaré qu'il avait examiné Mme Kazemi après son arrestation et avait constaté des signes évidents de torture, dont des doigts brisés, des ongles arrachés, un nez cassé, des traces de fouet sur les jambes et les pieds, de profondes lacérations sur le cou et les mollets, un orteil écrasé et un tympan défoncé. Une infirmière lui aurait rapporté des signes évidents d'un viol brutal.

La famille de Zahra Kazemi a mené de nombreuses batailles pour avoir une vraie autopsie - l'officielle parlant d'une mort accidentelle - et afin de faire rapatrier sa dépouille au Canada.

Son fils Stephan Hashemi a ensuite poursuivi au Québec l'État iranien pour ses actes, ainsi que son chef d'État, le procureur en chef des poursuites pénales et l'ancien sous-chef du renseignement de la prison où Mme Kazemi était détenue.

Sa succession réclamait des dommages-intérêts pour les douleurs et souffrances qu'elle aurait subies. M. Hashemi a aussi réclamé des dommages pour ses propres souffrances et le préjudice moral que lui ont causé l'arrestation, la torture et la mort de sa mère.

Les autorités iraniennes ont déposé une requête pour faire rejeter la poursuite, au motif qu'elle est irrecevable: selon elles, la loi sur l'immunité des États empêche ce genre d'action en justice.

Le fils de Mme Kazemi réplique que si la Loi sur l'immunité des États fait obstacle à ses poursuites, elle contrevient alors à la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où elle les priverait du droit d'exercer un recours civil au Canada contre l'Iran.

La succession de Mme Kazemi avait perdu en Cour d'appel, tout comme en Cour supérieure. M. Hashemi avait pour sa part vu son droit de poursuivre confirmé par la Cour supérieure, une décision toutefois renversée en appel.

Jeudi, son avocat a accueilli avec satisfaction la décision de la Cour suprême de se pencher sur ce dossier.

«C'est une longue bataille», a souligné Me Mathieu Bouchard. «Sa mère est décédée ça va faire 10 ans au mois de juillet».

«Pour lui, c'est un soulagement. Il a l'impression qu'il y a encore une possibilité de justice», a-t-il dit au sujet de son client, Stephan Hashemi, qui n'a pas retourné nos appels.

Amnistie Internationale (AI), qui était impliquée dans les procédures judiciaires, est contente de savoir que la Cour suprême va scruter la loi sur l'immunité des États, dont la portée serait inacceptable.

«On parle de torture ici. Y a-t-il plus grave?», a commenté Béatrice Vaugrante, la directrice générale de la section francophone d'AI Canada.

«Que nous ayons au Canada des lois qui permettent de laisser impunies de telles violations graves des droits humains.... C'est important qu'on soit dans le débat, qu'on fasse valoir les engagements internationaux du Canada».

Mme Vaugrante est d'avis qu'il faut modifier la loi et permettre de poursuivre les États étrangers.

Dans le jugement de la Cour d'appel, le juge Yves-Marie Morissette avait souligné dans ses motifs de jugement que «la torture d'un être humain est une horreur et une abomination. En vertu des lois canadiennes, de tels actes entraînent des sanctions criminelles et civiles».

Mais selon lui, les lois qui interdisent ce mal n'entrent pas en conflit avec celles qui empêchent de poursuivre un État étranger.

Le gouvernement canadien a fait des démarches au cours des années pour aider le fils de Mme Kazemi.