Un père de famille accusé d'agression sexuelle sur quatre voisines a été libéré en attendant son procès et est aussitôt retourné vivre dans le même quartier, sans qu'aucune des femmes n'en soit informée par les autorités.

Ces dernières ont appris la libération de Maximo Fernando Torres par hasard. «J'avais déjà l'impression de le voir partout quand il était en prison, et mon coeur arrêtait de battre. Imaginez si je l'avais soudain croisé dans le métro avec mon fils; j'aurais pu faire une attaque de panique! C'est dangereux», dénonce l'une des quatre plaignantes, qui souffrait déjà de choc post-traumatique et avait des idées suicidaires avant de subir ce nouveau contrecoup.

En vertu du programme CAVAC-info, lors des comparutions et enquêtes pour remise en liberté, le Centre d'aide aux victimes d'actes criminels de Montréal téléphone aux victimes pour leur annoncer si l'accusé attendra son procès chez lui ou derrière les barreaux. Il n'existe toutefois aucun mécanisme officiel par lequel on les informe des rebondissements judiciaires ultérieurs. Même dans les cas lourds comme celui de Maximo Torres - un homme de 41 ans que la poursuite a décrit en cour comme «un prédateur qui agresse des gens, qui se cache derrière un monsieur qui a une vie exemplaire».

Emprisonné, puis relâché

En septembre dernier, la Cour du Québec avait décidé qu'il fallait emprisonner Torres sans attendre pour protéger le public et les «autres femmes sur Terre». Le résidant du nord de Montréal a passé cinq mois à la prison de Bordeaux. Puis, en février, la Cour supérieure a entendu son appel et lui a rendu sa liberté pour qu'il puisse s'occuper de sa femme, gravement malade, et subvenir aux besoins de leurs fillettes, en attendant d'être jugé. Autres facteurs: Torres n'a pas d'antécédents judiciaires, et il prétend que ses voisines - qui ne l'ont pas dénoncé rapidement - ont consenti aux rapports sexuels. Le juge parle d'un «dossier particulièrement singulier».

Les 11 accusations portées contre le quadragénaire n'en sont pas moins sérieuses. D'après la poursuite, en sept mois (entre novembre 2011 et juin 2012), Torres a commis huit agressions sexuelles et séquestré deux femmes dans leur propre appartement.

Le technicien en structure de bâtiment était responsable de l'entretien de son immeuble, ce qui lui aurait permis d'apprivoiser ses voisines et d'entrer chez elles, sous prétexte de faire des réparations. D'après ce que la poursuite a raconté en cour, elles ont été embrassées, touchées, déshabillées ou prises de force. Trop saisies, elles ne se sont généralement pas débattues. Certaines ne voulaient pas effrayer leurs enfants, qui jouaient dans la pièce voisine.

Perte de confiance

Pourquoi a-t-on omis d'alerter les victimes alléguées au sujet de sa remise en liberté? Du côté de la poursuite, on affirme qu'on a communiqué l'information au CAVAC de Montréal et que celui-ci a omis de la transmettre. L'organisme déclare de son côté ne jamais l'avoir reçue.

«Il n'y a rien qui fait en sorte qu'on ait l'information tout de suite ou d'office, parce qu'on est lié au système judiciaire sans être dedans, affirme Jenny Charest, directrice de l'organisme. Idéalement, cela serait bien de trouver un moyen. L'accès direct serait aidant. On n'a pas les ressources pour avoir des gens dans toutes les salles de cours.»

En attendant, dit Mme Charest, «on travaille très fort pour garder un bon lien avec les procureurs, pour avoir l'information le plus souvent possible et, dans la majorité des cas, ça va bien. Mais Montréal est une très grande ville avec beaucoup de causes et beaucoup de monde».

Pour la victime alléguée, ce n'est pas une excuse valable. «Sur le site du gouvernement, ils te pressent de dénoncer l'agresseur, parce que 90% des victimes de viol gardent le silence. Et là, ils disent qu'ils ne sont pas capables d'accompagner les 10% qui dénoncent, qu'ils sont trop débordés! C'est choquant», dit-elle.

Les victimes d'agression sexuelle doivent par ailleurs attendre de longs mois pour être admises aux thérapies de groupe, souligne-t-elle par ailleurs. «On se sent seules. Je risque de croiser mon agresseur à tout moment. Il habite à deux minutes de la garderie de mon fils. Aussi bien dire que je fais de la prison chez moi.»

En attendant, Maximo Torres, qui a plaidé non coupable, continue de s'afficher sur YouTube. Il y reprend des chansons en espagnol - dont une chanson du groupe péruvien Libido.