Des sources bien informées ont fait part à La Presse de dysfonctionnements, de lacunes et de rivalités qui sabotent la collaboration et l'échange d'information au sein de l'UPAC, mais aussi entre la Sûreté du Québec et la commission Charbonneau (CEIC).

Ce qui a provoqué le plus de remous dans les derniers mois et qui a accéléré le départ de Richard Deschesnes est l'enquête Diligence. Centrée sur l'infiltration du crime organisé dans le monde de la construction, elle est vite devenue un dossier très délicat, car elle s'approchait parfois très près du monde politique, en particulier de l'ancien gouvernement libéral.

Selon nos sources, la SQ aurait caviardé des éléments de preuve dans le dossier Diligence qu'elle a remis à la commissaire France Charbonneau. Irritée, cette dernière s'en serait plainte à Québec. La Commission réclame un accès complet à cette documentation pour faire son travail de recherche et appuyer les déclarations des témoins qui seront appelés prochainement à la barre, dont un ancien enquêteur de Diligence.

Interrogé cette semaine sur les frictions entre la SQ et la commission Charbonneau, le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, a éludé la question. «Posez votre question à la Sûreté du Québec», a-t-il dit. Il venait tout juste de rappeler que sa rencontre avec les dirigeants de l'UPAC la semaine dernière visait à ce que tous les groupes touchant aux enquêtes dans cette unité intégrée travaillent en harmonie.

«Les bandes audio et les transcriptions de Diligence, ça traîne, ça traîne, il y a toujours quelque chose ou quelqu'un qui bloque leur divulgation (à la CEIC)», déplore une source policière proche de la CEIC.

Tous les renseignements glanés grâce à l'enquête Diligence et aux enquêtes «satellites» (voir autre texte) seraient pourtant une vraie mine d'or pour les limiers de France Charbonneau. Un chiffre démontre l'ampleur de la collecte policière: 350 000 conversations écoutées pendant 18 mois, pour un total 20 000 heures d'écoute.

Comme la GRC

Parmi les pièces manquantes figureraient les écoutes et les vidéos de filature de l'ancien dirigeant de la FTQ Construction, Eddy Brandone. L'émission Enquête de Radio-Canada a révélé l'été dernier que cette filature avait été interrompue 30 minutes après sa rencontre impromptue avec le premier ministre Jean Charest dans un hôtel de Dorval, le 6 mars 2009. Deux sources nous ont affirmé que d'autres écoutes auraient été interrompues de même façon.

On a de plus relaté à La Presse une «dispute qui aurait éclaté l'hiver dernier parmi les enquêteurs de la Commission au sujet de l'enquête Diligence, encore pour une histoire d'informations tenues cachées ou considérées officiellement comme «non pertinentes», déplore l'un de nos interlocuteurs.

«Il y a eu bien des ratés et des obstinations, raconte une source policière. France Charbonneau veut la lecture complète du dossier, mais c'est de la mésentente bébête... Le modèle d'entente entre Charbonneau et la SQ n'était pas au beau fixe, c'était plus une histoire de personnalités entre les hommes de Charbonneau, de Marteau et de l'UPAC.»

Ajoutons un détail révélateur: les autres membres de l'UPAC n'ont pas accès à la banque de données criminelles de la SQ... qui fait pourtant partie officiellement de l'UPAC.

À la SQ, certains soutiennent qu'ils sont parfois obligés d'empêcher la divulgation d'information pour préserver des enquêtes en cours. Mais la commission Charbonneau peut toujours s'adresser aux tribunaux, comme elle l'a fait dans le cas de la preuve accumulée par la GRC au cours du projet Colisée, nous dit-on. Au mois d'avril, la Cour supérieure avait ordonné à la GRC de remettre à la CEIC tous les documents, y compris les photos et les vidéos, collectés entre 2002 et 2006 lors de cette vaste opération antimafia.

Congédiement expéditif

Richard Deschesnes a été remercié début octobre, huit mois avant l'échéance prévue de son mandat.

Contrairement à la tradition, le ministre Bergeron n'a pas communiqué avec Richard Deschesnes pour le prévenir qu'il était relevé de ses fonctions. Normand Proulx, son prédécesseur, avait eu un coup de fil du ministre Jacques Dupuis. Au même moment, Deschesnes, son subalterne, négociait ses futures conditions de travail avec le Conseil exécutif à Québec. À d'autres dirigeants de la SQ, notamment Robert Lavigne, le gouvernement avait même donné un préavis de plusieurs semaines avant qu'ils soient relevés de leur fonction. On a été bien plus expéditif avec M. Deschesnes, qui a appris son départ quelques minutes avant qu'il soit officiel.

Selon Jacqueline Aubé, porte-parole du ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron n'avait pas à donner de préavis. «Je crois qu'il n'avait pas à le faire. Cela devait passer par le Conseil exécutif, l'annonce [à Deschenes] est passée par là, explique la porte-parole du ministre. Pour la nomination de M. Laprise, on n'a qu'à émettre un décret qui remplace un précédent décret», conclut-elle.

À l'interne, on montre aussi du doigt une différence entre l'approche philosophique de l'ancien patron et celle du nouveau. Richard Deschesnes était considéré comme un policier de terrain, de la «route», pour reprendre leur jargon, tandis que Mario Laprise est plutôt vu comme pro-renseignement, donc du travail en amont.

Or, nous dit-on, il y a eu des lacunes dans le domaine du renseignement, notamment lors du Printemps érable. «L'évaluation de la menace était au niveau "moyen" le jeudi précédant le congrès du PLQ à Victoriaville, qui a dégénéré en émeute, au début mai. Il y a un gros ménage à faire. Laprise va le faire, et pas dans la dentelle», prédit un policier.

Il ajoute que l'attentat du Métropolis contre Pauline Marois a aussi joué en défaveur de Richard Deschenes, comme Le Devoir l'a déjà indiqué. Depuis, la police de Montréal n'a pas aimé qu'on l'écarte de l'enquête. Rien pour calmer la guerre des polices.

La Sûreté du Québec n'a pas voulu répondre aux questions de La Presse «parce que plusieurs de ces dossiers (liés à Diligence) sont actuellement devant les tribunaux», a expliqué le lieutenant Michel Brunet, de la surveillance du territoire. Mais il tient à préciser «que la SQ collabore avec la commission Charbonneau. «Dans le cadre du projet Diligence, nous avons transmis aux enquêteurs de la Commission tous les renseignements demandés», a-t-il dit.

Même mutisme à la commission Charbonneau: «Nous ne commentons jamais les enquêtes en cours et tout ce qui se fait en amont des audiences», a expliqué le porte-parole Richard Bourdon. Richard Deschenes n'a pas souhaité commenter, étant assujetti à un devoir de réserve, a-t-il fait savoir à La Presse.

- Avec la collaboration de Vincent Larouche

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Diligence: crime organisé et FTQ Construction dans la ligne de mire

Diligence, une vaste enquête menée en 2008 et 2009 à la suite d'une plainte de l'entrepreneur Paul Sauvé, était destinée à neutraliser l'infiltration du crime organisé, en particulier des Hells Angels, notamment dans la construction et la maçonnerie.

Le système, de l'avis des policiers de la section de lutte contre la criminalité financière organisée (SEFCO), avait été échafaudé par le motard Normand Ouimet, surnommé Casper dans le milieu. Plusieurs personnages liés directement ou indirectement à la FTQ étaient sur le radar des policiers de la SQ.

Le représentant syndical de la section locale 100 de la FTQ Construction, Guy Dufour, et l'ex-dirigeant de Grues Guay, Louis-Pierre Lafortune, étaient ciblés. Ils ont été arrêtés en novembre 2009 et accusés. Mais ce n'était pas la seule raison pour laquelle la FTQ intéressait tant les policiers. Un autre dossier satellite a valu à la centrale syndicale et à certains de ses dirigeants l'attention des enquêteurs à la même époque.

Celui de Jocelyn Dupuis, directeur général de la FTQ Construction, arrêté et accusé depuis pour fausses factures et comptes de frais gonflés. Son procès devrait avoir lieu en 2013. Quant à Michel Arsenault, il a dit en 2011 dans une entrevue accordée au défunt site ruefrontenac.com qu'il avait été mis sur écoute par la police.

Il en voulait pour preuve la lettre des autorités judiciaires l'informant que ses communications avaient été épiées pendant un certain temps. Le président de la FTQ et du Fonds de solidarité était lui-même visé par une enquête de la Sûreté du Québec. Le principal intéressé l'a confirmé à La Presse. Les policiers avaient déféré le dossier au bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui a décidé de ne porter aucune accusation.