Sans statut, sans papiers, les enfants des immigrants illégaux voient les portes des écoles du Québec se fermer devant eux. La situation est méconnue et difficile à quantifier, mais elle est devenue suffisamment préoccupante pour que le milieu de l'éducation se penche sur ce problème.

Miguel, 16 ans, ressemble aux autres adolescents de son âge. Il aime le hockey et les sports en général. Il commence à penser à son avenir. Mais l'avenir est limité pour un immigrant illégal. Même les portes des écoles lui sont fermées.

Avec ses parents, l'adolescent a fui son Mexique natal il y a six ans. La famille a trouvé refuge à Montréal. Ses parents ayant demandé l'asile politique, Miguel a d'abord pu s'inscrire à l'école de son quartier. Il a fait un séjour de deux ans dans une classe d'accueil, le temps de bien maîtriser le français.

Petit à petit, il s'est fait des amis. Il a fait son entrée au secondaire. Sa mère a donné naissance à son petit frère, aujourd'hui âgé de 4 ans. Son père a trouvé du travail. Il s'occupe de l'entretien ménager dans un immeuble de bureaux. Il travaille sept nuits par semaine. Miguel l'aide régulièrement le week-end. Pour aider à boucler le budget, sa mère fait aussi des ménages dans les maisons.

Les années ont passé. La décision des services de l'immigration est finalement tombée, ce qui a rayé les perspectives d'avenir de Miguel. Le juge n'a pas cru sa famille, qui disait être en danger au Mexique. Miguel et ses parents ont choisi de ne pas partir. Ils sont devenus des sans-papiers à Montréal.

Depuis, Miguel continue d'aller en classe tous les matins. Il fréquente les mêmes amis. Sa matière préférée est toujours l'éducation physique. Mais il est maintenant illégal au sens de la loi. Il n'a plus le droit de fréquenter l'école.

Il longe les corridors en se faisant discret, car il ne veut surtout pas attirer l'attention. «On ne parle jamais de ma situation avec mes amis», dit-il.

Pour ne pas être retrouvée par les services d'immigration, la famille déménage chaque année. Elle vit dans un petit appartement d'une rue anonyme, où tous les immeubles se ressemblent. Un drap rouge accroché avec une corde voile la fenêtre du salon. Seul un petit tricycle vert, abandonné sur le balcon, témoigne de la vie à l'intérieur.

Chaque année, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) envoie une lettre aux parents de Miguel pour leur demander de régulariser la situation de l'adolescent. Ils doivent fournir les documents prouvant leur résidence pour permettre sa réinscription à l'école.

C'est aussi le seul moyen d'avoir un code permanent délivré par le ministère de l'Éducation, code qui suit l'élève au fil de son parcours scolaire et qui témoigne de ses années d'études.

La lettre frappée du logo de la CSDM va rejoindre les autres dans un tiroir de la commode. «On ne fait rien. On ne peut rien faire», explique la mère dans un français approximatif, les yeux rougis.

Beaucoup d'incertitude concernant les sans-papiers

À Montréal, on compterait quelques centaines, voire quelques milliers d'enfants dans la même situation que Miguel, estime le Collectif éducation sans frontières.

Créé à l'automne 2011, l'organisme travaille auprès des élus pour faire reconnaître le droit des enfants d'avoir accès à l'école, quel que soit le statut migratoire de leurs parents.

«On ne migre pas, on ne part pas de son pays pour avoir quelque chose de moins bien. On veut que ses enfants aillent à l'école. Plusieurs sont prêts à travailler plus, dans des conditions difficiles, mais ils veulent que leurs enfants aient une meilleure vie. L'accès à l'école est central», fait valoir Adrien Jouan, chercheur et membre du Collectif.

Au Québec, la Loi sur l'instruction publique exige une preuve de résidence légale au moment de l'inscription d'un enfant à l'école. Ce document «légal» pose problème aux immigrants en situation irrégulière.

Résultat, beaucoup d'enfants d'immigrants se retrouvent dans une situation intenable. Certains, comme Miguel, continuent d'aller à l'école même si leur statut a changé. Ils vivent dans la peur d'être dénoncés et expulsés. S'ils ne régularisent pas leur situation, il vient un moment où ils ne peuvent obtenir leur diplôme.

D'autres réussissent à s'inscrire quand même, avec la bénédiction de l'école, qui accepte de fermer les yeux. Sans documents légaux, ces élèves n'ont toutefois pas de code permanent et leurs années d'études ne sont pas reconnues.

Les écoles sont financées en fonction du nombre d'élèves autorisés par le ministère de l'Éducation. Comme ces élèves sans papiers ne sont pas déclarés, l'école perd du financement. Certaines directions demandent aux parents de payer les droits de scolarité - de 5000 à 6000$ annuellement.

D'autres enfants ne vont tout simplement pas à l'école. Ils passent des journées entières dans de petits appartements, parfois seuls malgré leur jeune âge, parce que leurs parents doivent travailler pour nourrir leur famille.

Ces situations sont souvent temporaires, indique M. Jouan, mais il est difficile d'avoir le portrait réel, puisque les familles ont honte d'en parler.

«Souvent, les parents disparaissent. Ils vont ailleurs, ils vont en Ontario», dit M. Jouan. Dans la province voisine, les enfants peuvent fréquenter l'école sans être inquiétés (voir encadré).

Les parents de Miguel y songent. Plusieurs de leurs amis ont quitté Montréal au cours des dernières années en espérant trouver une vie meilleure ailleurs. Miguel refuse catégoriquement. «Je ne veux pas déménager à Toronto. Je ne me vois pas recommencer dans une nouvelle ville et devoir encore apprendre une nouvelle langue.»

Ses parents le regardent tristement. Ils veulent le meilleur pour leurs enfants. Les perspectives d'avenir sont limitées.