Des militants pro-choix s'inquiètent qu'un groupe antiavortement ait obtenu des services de la faculté de pharmacie de l'Université de Montréal pour sa campagne auprès de femmes enceintes en lui dissimulant complètement ses allégeances pro-vie.

La méprise suscite de vives préoccupations parmi les organismes pro-choix, non pas à cause de l'association entre leurs opposants et l'Université, mais parce que si cette dernière a pu être aveuglée de la sorte, les femmes vulnérables risquent aussi de l'être. «Le groupe entretient un flou volontaire sur ses objectifs pour ratisser plus large, croit la coordonnatrice générale de la Fédération québécoise du planning des naissances, Sophie de Cordes. S'il était clairement identifié comme antichoix, on n'aurait pas de problème avec ça. Les femmes pourraient choisir leur ressource en toute connaissance de cause. Mais j'imagine qu'ils craignent que des gens n'aillent plus vers eux.»

L'organisme en question, c'est l'Alliance Ressources Grossesse, un regroupement d'une quinzaine de centres d'aide à la grossesse répartis un peu partout au Québec et dont plusieurs se disent neutres. L'une de ses missions non avouées, a révélé en 2010 une enquête du site d'information RueFrontenac.com, est toutefois de convaincre les femmes enceintes d'un enfant non désiré de ne pas se faire avorter.

Pour un cours

Une quinzaine d'étudiants et deux professeurs de la faculté de pharmacie de l'UdeM se sont associés à l'organisme l'an dernier dans le cadre d'un cours de service à la communauté. Les futurs pharmaciens souhaitaient produire un document d'information sur la prise de médicaments chez la femme enceinte. En cherchant des organismes communautaires avec lesquels travailler, ils ont trouvé l'Alliance, qui n'affiche nulle part sur son site web son parti pris pro-vie ou les détails de sa mission.

«Nous n'étions pas au courant de l'orientation pro-vie de l'organisme, qui ne ressort pas clairement, indique la secrétaire de la faculté de pharmacie, Claudine Laurier. Si la responsable du projet l'avait su, elle aurait réorienté les étudiants. Elle est désolée que ça se soit passé comme ça.»

Dans un courriel envoyé à La Presse, les étudiants affirment la même chose. «Nous n'étions malheureusement pas au courant de l'orientation de l'organisme pour lequel nous avons produit le document de référence.» Ils affirment que le sujet de l'avortement n'a jamais été abordé lors de leurs communications et qu'ils n'ont posé aucune question à ce sujet.

«Quel est le problème? L'Université a été très gentille de nous aider», estime pour sa part le directeur de l'Alliance, Marc Albert Bélanger.

À première vue, son groupe donne l'impression d'être complètement neutre. Sur son site internet, il indique que sa mission est de «combler les besoins de la jeune femme enceinte en difficulté».

Toutefois, quelques clics de souris permettent de tracer des liens avec des mouvements ouvertement pro-vie, comme l'événement 40 jours pour la vie, une manifestation deux fois par an devant la clinique Morgentaler à laquelle a participé, en 2009, M. Bélanger. Notons aussi la Campagne Québec vie et le groupe militant Respect de la vie mouvement éducation (RVME), qui renvoie à l'Alliance sur son site web. RVME diffuse aussi sur son portail en ligne des propos alarmistes sur l'avortement. On y lit par exemple que l'intervention augmente de manière significative les risques de cancer du sein ou de l'utérus. Cela est faux.

Après avoir maintes fois refusé de dire à La Presse que son groupe est pro-vie, le directeur de Marc Albert Bélanger a reconnu qu'il n'était «pas en accord avec l'avortement». «Je ne fais pas de débat public, a-t-il martelé. Le plus important est de s'occuper des femmes enceintes. On le fait sans juger ou condamner.»

À l'UdeM, on assure que l'organisme n'a influencé en aucune manière le contenu du document préparé par ses étudiants et révisé par les professeurs. «L'information qui s'y trouve est juste et exacte», assure Mme Laurier. Elle indique que le processus de sélection des organismes partenaires dans le cadre du cours Service à la communauté sera revu.

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La discrétion des pro-vie

Une enquête de l'Association canadienne pour la liberté de choix a révélé en 2010 que plusieurs organismes pro-vie québécois cachent leur orientation et se présentent sous la bannière de «centres d'aide à la grossesse», dont la mission est prétendument de conseiller de façon neutre les femmes portant un enfant non désiré. Dans les faits, selon l'Association, plusieurs de ces centres tentent de dissuader les femmes de choisir l'avortement, souvent en utilisant des tactiques malhonnêtes. Une chercheuse de l'organisme a joint de façon anonyme les intervenants de neuf centres de ce type en se prétendant enceinte. Voici ses résultats.

> Sept centres ont déclaré leur opposition à l'avortement seulement lorsque la chercheuse a prétendu vouloir se faire avorter.

> Trois centres ont donné de fausses informations sur les conséquences de l'avortement, notamment que la femme risquait de souffrir de stress post-traumatique, d'être stérile, d'avoir des problèmes liés à sa sexualité ou de contracter un cancer du sein.

> Quatre centres ont refusé de donner de l'information sur l'avortement.

> Deux centres se sont présentés comme neutres, même lorsque la chercheuse a affirmé qu'elle voulait subir un avortement; ils lui ont toutefois donné de fausses informations sur l'avortement.