L'attribution en 2008 de 18 000 places subventionnées en garderie a manqué de rigueur et «a laissé une grande place à la subjectivité», dénonce le vérificateur général, Renaud Lachance. La ministre de la Famille de l'époque, Michelle Courchesne, est allée à l'encontre des recommandations de ses fonctionnaires pour 21% des projets qu'elle a retenus. Ces projets provenaient parfois de donateurs libéraux.

Après le dépôt du rapport percutant du vérificateur général, mercredi, Québec a rendu publique la liste des 85 projets rejetés par le Ministère mais choisis par Mme Courchesne. Une dizaine concerne des donateurs libéraux, les mêmes que le Parti québécois avait nommés en 2010 lorsqu'il a accusé le gouvernement Charest de favoritisme. Il s'agit par exemple des frères Colas, qui ont été propriétaires de l'abattoir Colbex, et de Joe Magri, ami d'enfance de Tony Tomassi, expulsé du caucus libéral l'an dernier. Le PQ estime que 1600 places ont été accordées à des promoteurs ou des administrateurs qui ont versé environ 134 000$ à la caisse du PLQ depuis 2003.

L'opposition exige la démission de «la responsable du scandale», Michelle Courchesne. «Elle est quand même présidente du Conseil du Trésor et elle a fait du fling-flang avec les places à 7$. Alors comment peut-on continuer à lui faire confiance?», a lancé le député péquiste Nicolas Girard. Alors que Renaud Lachance quitte son poste pour aller seconder la juge Charbonneau, M. Girard veut qu'il «parte son rapport sous le bras». La commission d'enquête doit se pencher sur le «scandale des garderies libérales», quitte à élargir son mandat, a-t-il souligné.

En fin d'après-midi, Michelle Courchesne s'est défendue d'avoir fait du favoritisme lorsqu'elle a sélectionné les projets en compagnie de sa chef de cabinet, l'ex-députée Sarah Perreault. «Je n'ai eu en aucun cas sur mon bureau, à aucun moment, des listes de donateurs. Je ne voulais pas savoir à qui appartenaient ces garderies, qui étaient les administrateurs. Ça ne s'est pas fait sur cette base-là», a-t-elle affirmé, la voix chevrotante. Elle dit avoir consulté les députés «de toutes les allégeances» pour choisir les projets. «Quand je les consultais, je disais: "Je ne veux aucune partisanerie"», a-t-elle précisé. Selon elle, ce sont des projets en milieu défavorisé ou destinés aux poupons, par exemple, qui ont été favorisés. La moitié des 87 projets qu'elle a autorisés contre l'avis du Ministère provient de CPE, à but non lucratif, a-t-elle fait valoir. Elle reconnaît toutefois que le processus suivi en 2008 n'était pas «une bonne façon de faire».

Évaluations ignorées

Dans son rapport déposé à l'Assemblée nationale mercredi, Renaud Lachance conclut que l'appel de projets «n'a pas été réalisé avec toute la rigueur et l'efficience auxquelles on aurait pu s'attendre». La preuve: 74% des projets retenus avaient obtenu une «évaluation insatisfaisante» quant à la qualité. «On ne voit pas ça fréquemment», a lancé M. Lachance en conférence de presse.

Selon lui, le processus «a été fait trop vite». Le gouvernement Charest a annoncé en mars 2008 son intention de créer 9000 nouvelles places. La ministre Courchesne a lancé l'appel de projets en avril, mettant de côté le processus de consultation qui était jusque-là en vigueur. Le gouvernement n'a accordé qu'un mois aux demandeurs de places pour soumettre leur projet. Il n'a pas rendu publics ses critères d'évaluation. Le Ministère a mis très peu de temps, un mois, pour évaluer les 1955 projets soumis. En juillet, Mme Courchesne a subitement augmenté à

18 000 le nombre de places qui seraient allouées. Elle a attribué les places en août, choisissant quelque 500 projets.

L'analyse des dossiers a été bâclée. «Il est impossible de faire des liens entre les résultats de l'évaluation d'un projet et sa proposition ou son refus», écrit M. Lachance dans son rapport. Pour une même localité, certains projets recommandés par le Ministère étaient moins bien notés que d'autres qui ont été écartés. De plus, 29% des projets retenus étaient situés dans des municipalités où le Ministère avait estimé qu'il y avait un surplus de places. Près de 20% avaient obtenu une mauvaise note quant à leur faisabilité. «Il ne faut pas s'étonner aujourd'hui» que 23% des 18 000 places attribuées en 2008 n'ont toujours pas été créées, a affirmé M. Lachance.

Il a constaté que la «discrétion ministérielle a généré des écarts importants entre les projets recommandés par le Ministère et ceux retenus». Ainsi, des projets totalisant 3505 places (20%) n'ont pas été retenus même s'ils étaient recommandés par le Ministère.

L'actuelle ministre de la Famille, Yolande James, a répliqué que le processus d'attribution des places a été amélioré. Des comités régionaux évalueront les projets.

Mme James s'engage à suivre leurs recommandations pour l'attribution des 15 000 nouvelles places annoncées récemment.

Renaud Lachance relève bien d'autres problèmes dans son ministère, des constats que Mme James dit prendre «très au sérieux». Les lacunes touchent entre autres l'évaluation du programme pédagogique des garderies, le renouvellement des permis, les inspections, le traitement des plaintes et la gestion des bureaux coordonnateurs des garderies en milieu familial.