Le Canada accédera mercredi à la présidence du Conseil de l'Arctique. Ce regroupement de huit pays voué au développement durable et à la protection de l'environnement se réunira en Suède. Compte tenu de sa politique de développement économique et de sa stratégie d'exploitation des ressources naturelles, faut-il s'étonner si Ottawa souhaite que le Conseil s'intéresse davantage aux pratiques industrielles dans le Nord ?

Le Nord canadien connaît un boom minier sans précédent et le gouvernement Harper souhaite que le Conseil de l'Arctique se penche sur les meilleures pratiques industrielles. C'est ce qu'il fera valoir lorsqu'il prendra la présidence de cet organisme, mercredi. Un ordre du jour qui est accueilli avec méfiance par plusieurs observateurs.

Titulaire du portefeuille de la Santé, Leona Aglukkaq est la première femme inuit à siéger au Conseil des ministres à Ottawa. Cette semaine, lors d'une rencontre à Kiruna, en Suède, elle deviendra aussi la première Autochtone à présider le regroupement de huit pays voué au développement durable et à la protection de l'environnement.

Mme Aglukkaq souhaite élargir le rôle du Conseil afin qu'il s'intéresse davantage aux questions économiques. Elle veut aussi que l'organisme se consacre à l'amélioration des conditions de vie des Autochtones.

«Depuis 16 ans, le Conseil de l'Arctique s'est concentré sur de la recherche de qualité, explique Mme Aglukkaq en entrevue à La Presse. Mais en fin de compte, c'est l'entreprise privée qui exploite le Nord, qui y travaille, et nous n'avons pas de mécanisme pour mieux travailler ensemble.»

Pratiques industrielles

Le Canada souhaite créer un groupe de travail qui examinera les meilleures pratiques industrielles dans l'Arctique. La ministre Aglukkaq veut savoir de quelle manière les entreprises des autres pays concilient extraction des ressources et protection de l'environnement.

«Dans ma circonscription, il y a un boom, relate la ministre. L'industrie minière est en pleine croissance. Dans le Nord, nous voulons ce qu'il y a de mieux en matière d'emploi.»

Joël Plouffe, chercheur au Centre interuniversitaire sur les relations internationales du Canada et du Québec à l'ENAP, estime que l'approche de Mme Aglukkaq s'inscrit en droite ligne dans les priorités du gouvernement Harper en matière de politique intérieure.

« Je pense que, pendant sa présidence de deux ans, le Canada cherchera à aligner les priorités du Conseil de l'Arctique sur les priorités du gouvernement Harper, explique-t-il. M. Harper, depuis qu'il est au pouvoir, cherche à tout faire pour promouvoir le développement économique sur le territoire canadien.»

Mais l'intérêt d'Ottawa pour le développement économique dans le Grand Nord ne passe pas inaperçu. Lors d'une récente conférence, Kristofer Bergh, chercheur à l'Institut international de recherche pour la paix de Stockholm, a affirmé que l'accession du Canada à la présidence du Conseil de l'Arctique inquiète plusieurs observateurs.

On craint notamment que le Canada ne politise le Conseil afin de faire la promotion de ses propres intérêts nationaux.

L'organisation écologiste Greenpeace, qui tente d'obtenir le statut d'observateur au Conseil, s'inquiète elle aussi des intentions du gouvernement.

Le porte-parole, Patrick Bonin, estime que nous sommes face à un «moment charnière» pour l'Arctique. Le changement climatique provoque un retrait des glaces, ouvrant la porte à l'extraction de ressources et à la navigation.

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Aglukkaq veut se servir de son expérience

Les membres du Conseil de l'Arctique connaissent mal la réalité du Canada, et la ministre Leona Aglukkaq aura fort à faire pour communiquer cette réalité, selon les observateurs. Une tâche que la principale intéressée envisage avec enthousiasme.

«Avec des décisions comme celle de l'Union européenne sur la chasse au phoque, celle des États-Unis sur les ours polaires ou encore les restrictions à la pêche à la baleine, il ne nous restera bientôt plus grand-chose à manger», dit-elle.

La ministre estime être la personne toute désignée pour «éduquer» les autres membres du Conseil. Elle parle du Nord canadien en connaissance de cause. Inuit, elle a passé les premières années de sa vie au coeur de ce qui est aujourd'hui le Nunavut. Il n'y avait pas d'électricité dans son campement. Elle n'a connu ce luxe que lorsqu'elle a déménagé dans le hameau de Taloyoak.

L'expérience de la ministre sur le terrain sera utile pour communiquer les préoccupations du Canada au Conseil de l'Arctique, croit Joël Plouffe, chercheur à l'ENAP. Et c'est très bien ainsi, car plusieurs pays européens accueillent avec «réticence» la présidence canadienne. «Il va falloir une meilleure communication pour que, au Conseil, on puisse s'entendre sur des projets communs, dit M. Plouffe. Sinon, il y aura un blocage.»