Du milieu du cratère, on ne voit que des buttes d'argile et des coulées de boue. La maison au toit vert, dans laquelle ont été ensevelis les quatre membres de la famille Préfontaine le 10 mai dernier, a presque complètement disparu. Il ne reste qu'un bout de fondation qui dépasse de l'eau.

«Avec l'accord des proches de la famille, on a décidé d'enfouir la maison», explique le maire de Saint-Jude, Yves de Bellefeuille. La raison est simple: dans les jours qui ont suivi le drame, des «touristes de sinistres» sont venus voir les dégâts. «On ne voulait pas qu'il y ait de pillage. Et de toute façon, la maison était déjà détruite, alors on l'a ensevelie», explique le maire.

Lui et la directrice générale de Saint-Jude, Sylvie Beauregard, parlent avec beaucoup de réserve d'un incident particulier, lors duquel un pilleur s'est emparé du journal intime de l'une des victimes. «Pendant tout l'été, ça venait de partout au Québec. Les gens venaient à Saint-Jude pour voir ça», dit le maire, un peu gêné. «La Sécurité civile nous avait avertis que ça se produirait», ajoute Sylvie Beauregard.

Avant qu'il ne soit clôturé, des amateurs de VTT ont aussi sillonné le cratère, pourtant encore sujet aux mouvements de terrain. Une curiosité morbide, peut-être, mais pas étonnante: l'histoire du glissement de terrain de Saint-Jude a littéralement fait le tour du monde, jusqu'à la une de journaux suédois et norvégiens.

Près de six mois plus tard, cette effervescence s'est estompée. Le seul signe d'activité humaine, dans le «trou», est une petite équipe de trois personnes qui, depuis cinq mois, recueille des carottes de glaise à l'aide d'une foreuse à diamant, à près de 30 m de profondeur. Une fois analysés, les échantillons permettront d'établir une carte des risques. Elle servira notamment à une quinzaine d'inspecteurs municipaux de la région, qui ont suivi la semaine dernière une formation sur les glissements de terrain offerte par l'Organisation de la sécurité civile du Québec.

Les pompiers s'y recueillent

Occasionnellement, des pompiers viennent également «se recueillir» sur les lieux. Le soir du drame, le chef des pompiers volontaires, Francis Grégoire, n'était en poste que depuis un mois. «Ça a été un baptême assez dur», reconnaît l'homme, à la tête d'une équipe de 18 hommes qui occupent tous d'autres emplois.

«Les visites nous permettent de nous poser des questions sur la vie et sur notre fragilité. Nous avons fait ce qu'il fallait faire, ce jour-là. Les événements ont fait que nous n'avons pas pu sauver les victimes, mais nous les avons trouvées rapidement, et ça, nous en sommes très fiers», explique-t-il. À la suite du drame, les pompiers ont tous été suivis par des psychologues du CLSC. «Avec ce suivi, tout va pour le mieux», dit le chef des pompiers.

La population aussi a eu droit à du soutien. Peu après les événements, le curé de la paroisse, Bertrand Jodoin, a invité les résidants de Saint-Jude à un souper de solidarité, auquel 200 personnes ont participé.

«Dans les jours qui ont suivi le drame, nous avons diffusé un bulletin d'information aux deux jours. Des géologues ont fait des rencontres avec les résidants pour les rassurer sur les risques. Il y a eu une solidarité incroyable», dit Sylvie Beauregard.

Tous ces petits gestes, mis bout à bout, ont aidé les habitants de Saint-Jude à passer au travers, estime le maire. «On a bien fait les choses», dit-il. Et le message s'est propagé dans les autres villes du Québec, croit sa directrice générale.

«Un mois après l'événement, alors que tout le monde croyait que la valeur de nos maisons allait planter à cause de la peur des glissements de terrain, j'ai reçu un appel d'un monsieur qui voulait acheter un terrain à Saint-Jude. Ça m'a étonnée. Je lui ai demandé s'il était au courant de ce qui s'était passé un mois auparavant. Il m'a répondu: "Oui, justement, je sais très bien ce que vous avez vécu, et c'est dans une communauté comme celle-là que je veux vivre."»