BCIA et son patron, Luigi Coretti sont au coeur de l'actualité depuis plusieurs semaines. Alors que de précédentes révélations ont mis en cause des membres du Parti libéral du Québec, La Presse a appris, en rencontrant deux ex-policiers qui ont travaillé pour Coretti, que l'agence de sécurité entretenait également des liens avec le parti de Gérald Tremblay.

Le 23 mars 2005, le Rizz, à Saint-Léonard, est plein à craquer. Plus de 400 personnes s'entassent dans la grande salle de réception. Parmi les invités, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, et son bras droit, Frank Zampino.

Luigi Coretti, patron de l'agence de sécurité BCIA, est présent à cette activité de financement d'Union Montréal, le parti du maire Tremblay. BCIA occupe une table. Dix places, payées 1000$ chacune.

M. Coretti a demandé à plusieurs de ses employés de venir au Rizz, dont Guy Bessette et Antoine Bastien, deux ex-enquêteurs de la police de Montréal, qui travaillaient depuis peu pour BCIA.

«Luigi Coretti nous a donné un billet, on ne l'a pas payé, raconte Antoine Bastien. On n'avait pas le choix, il fallait y aller. Coretti avait acheté la table.»

Luigi Coretti. Il a beaucoup fait parler de lui depuis deux semaines. Le ministre Tomassi a été obligé de démissionner parce qu'il avait utilisé une carte de crédit de BCIA lorsqu'il était député, et le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a été plongé dans l'embarras parce que M. Coretti a obtenu un permis de port d'arme à la suite d'une intervention de son cabinet.

Mais revenons au Rizz et à l'activité de financement d'Union Montréal, qui a rapporté 463 625$.

Comment M. Coretti s'est-il procuré les billets? Les a-t-il achetés? La loi est claire: seuls les électeurs peuvent contribuer à un parti politique municipal. Pour donner au parti du maire Tremblay, il faut donc vivre à Montréal. Et il y a un plafond: 1000$ par année. Or, M. Coretti habite à Laval. Quant aux entreprises, elles n'ont pas le droit de donner de l'argent.

Le nom de M. Coretti ne figure pas sur la liste des donateurs du parti en 2005, précise la directrice des communications d'Union Montréal, Louise Fournier.

Dans ce cas, comment a-t-il fait pour avoir les billets?

«Aucune idée, répond Mme Fournier. Quelqu'un a dû les lui donner.

- Quelqu'un aurait donné des billets d'une valeur de 10 000$ à M. Coretti? Étrange, non?

- Ce n'est pas illégal de donner un billet, a répondu Mme Fournier. Et il n'y a pas de mal à en accepter.»

La semaine dernière, La Presse a révélé une histoire identique, mais avec le Parti libéral du Québec: des cadres de BCIA ont assisté à une soirée de financement grâce à des billets donnés par M. Coretti.

La question reste entière: où M. Coretti a-t-il déniché tous ces billets?

Le Directeur général des élections a décidé d'ouvrir une enquête. Mercredi, un enquêteur a longuement parlé aux deux ex-policiers, Guy Bessette et Antoine Bastien.

Lui aussi se pose la question: qui a payé les billets?

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Antoine Bastien et Guy Bessette en ont long à dire sur Luigi Coretti. Je les ai rencontrés mardi dans la grande cuisine de M. Bastien, à Blainville. Ils se sont vidé le coeur.

Ils ont travaillé pendant un peu plus d'un an pour BCIA, en 2005 et 2006. La collaboration a tourné au vinaigre. Cinq ans plus tard, Bastien et Bessette poursuivent Coretti en cour. Ils lui réclament de l'argent à la suite d'une dispute sur les salaires versés. La cause n'est toujours pas réglée.

Mais à l'automne 2004, Antoine Bastien ne se doute pas qu'un jour il se battra en cour contre M. Coretti. Il travaille comme enquêteur à la police de Montréal depuis 31 ans. Il songe à la retraite lorsque deux collègues policiers, Jimmy Cacchione et Giovanni Diféo, lui parlent de Coretti.

«Cacchione m'a dit: "Un de mes chums, Luigi Coretti, cherche quelqu'un pour diriger ses enquêtes"», raconte Antoine Bastien.

Intéressé, Bastien communique avec Coretti. L'expérience le tente. «Je n'ai fait aucune vérification sur Coretti parce que deux de mes chums, Diféo et Cacchione, me le recommandaient, précise Antoine Bastien. Et Coretti se tenait avec des policiers.»

De plus, la femme de Cacchione travaillait pour BCIA. Elle était responsable des contrats.

Pendant qu'il réfléchit, Coretti l'appelle pour l'inviter à souper avec «une couple de boys». Ils se rencontrent dans un restaurant italien de la rue Crescent, au centre-ville. Sont présents, entre autres, Yvan Delorme, qui sera nommé chef de police de Montréal quelques mois plus tard, Jimmy Cacchione et Giovanni Diféo.

Le repas est bien arrosé, les bouteilles de vin circulent. C'est Luigi Coretti qui paie. «Les policiers n'ont pas l'habitude de ramasser les factures», précise Antoine Bastien.

Quelques semaines plus tard, un autre souper au même restaurant réunit Luigi Coretti, Yvan Delorme, Cacchione, Diféo et un autre policier de Montréal, Pietro Poletti. Encore une fois, Coretti paie pour tout le monde.

«Si Yvan Delorme veut nier, qu'il vienne me le dire en pleine face», se défend Antoine Bastien.

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Lorsque Luigi Coretti a embauché Antoine Bastien en 2005, BCIA ne comptait qu'une quarantaine d'employés.

Bastien a mis sur pied une équipe d'enquêteurs. Encouragé par Luigi Coretti, il a embauché des policiers de Montréal qui venaient de prendre leur retraite, comme Guy Bessette. Au moins une douzaine se sont joints à BCIA.

«L'atmosphère était tendue, raconte Antoine Bastien. Il y avait deux clans: les policiers et les Italiens.»

BCIA a connu une progression fulgurante. Luigi Coretti a décroché de nombreux contrats de surveillance dans le secteur public: l'Agence métropolitaine de transport, la Société de l'assurance automobile du Québec, le quartier général de la police de Montréal, etc.

En 2010, Coretti avait près de 1000 employés, une division de camions blindés et une filiale en Ontario.

Mais la montée rapide de BCIA a été stoppée net en avril lorsque l'entreprise s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite.

Même si M. Coretti est au coeur de nombreuses controverses impliquant des ministres et du financement politique douteux, même s'il a flirté avec la faillite et reçu de généreuses subventions de l'État, il refuse de donner des entrevues.

Lundi, le vérificateur de la Ville, Jacques Bergeron, va ajouter une pièce de plus au passé trouble de BCIA. Dans le rapport de 475 pages qu'il va remettre au conseil municipal, 35 sont consacrées à BCIA.

M. Coretti n'en a pas fini avec les controverses.