Les tambours résonnent et les voix retentissent dans le tout nouveau local du Centre d'amitié autochtone de Maniwaki, en Outaouais. Geoffrey Kelley, assis au premier rang pour l'inauguration, est dans son élément.

C'est que depuis 2005 et le premier mandat de Jean Charest - avec des interruptions -, le plus discret des ministres est l'interlocuteur des autochtones de la province. Huit ans en tout, une rare longévité dans un même ministère.

Jouant tantôt les pompiers, tantôt les Sisyphe, face aux problèmes qui déchirent une partie de cette population, l'homme de 63 ans parcourt les confins du territoire pour en visiter les communautés éparpillées. Mais sa perpétuelle tournée a pris fin il y a une dizaine de jours, à Maniwaki et à Kitigan Zibi, la réserve algonquine adjacente au village. Après une carrière parlementaire de 24 ans, le ministre rentre chez lui.

« Si quelqu'un me disait que je peux rester ministre des Affaires autochtones à vie, je prendrais ça demain matin. J'adore ça », a-t-il confié, assis dans son véhicule de fonction. « C'est compliqué et il y a des journées plus difficiles que d'autres, mais c'est un beau défi pour la raison suivante : personne ne va défendre le statu quo. » 

« Tout le monde accepte que [sur] les conditions de vie et tous les indicateurs socioéconomiques, il y a des problèmes. »

- Geoffrey Kelley

Le ministre dit ne jamais s'être fait d'illusions quant à la possibilité de régler ces enjeux rapidement, mais n'être « pas zen » pour autant avec l'état de la situation, 13 ans après sa première nomination. Sur des enjeux sociaux comme le suicide chez les Inuits, « on n'a pas fait de progrès », constate-t-il brutalement.

Geoffrey Kelley se félicite tout de même des nombreux projets éducatifs mis en place pendant ses années comme ministre : quatre nouveaux centres de formation professionnelle et un « pavillon des Premiers-Peuples » à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. De bonnes raisons d'espérer mieux, selon lui. Un refuge destiné aux itinérants autochtones à Montréal fait aussi sa fierté.

« Il y a du progrès au chapitre des infrastructures, dit-il, mais il y a des problèmes beaucoup plus profonds au chapitre des enjeux sociaux : dépendance, suicides et ces autres enjeux qui sont préoccupants et face auxquels on cherche toujours les bonnes recettes, les bonnes solutions. »

« LE CHAMPION DE LA CAUSE DES COMMUNAUTÉS AUTOCHTONES »

La limousine - une minifourgonnette noire - file vers le nord sur la route 105. Geoffrey Kelley est entouré de livres et de magazines pour les longs trajets.

Le téléphone sonne : Gregory Kelley, qui tente de reprendre la circonscription de son père dans l'Ouest-de-l'Île, révise avec lui les méandres des lois linguistiques québécoises en vue d'un débat. Les usagers de trains de banlieue de Baie-D'Urfé ont-ils le droit d'être avisés d'un retard en anglais ? Pourquoi la bibliothèque de Beaconsfield a-t-elle le droit d'afficher LIBRARY sur sa façade ? Même au coeur de la MRC de La Vallée-de-la-Gatineau, les enjeux locaux le rattrapent.

Maniwaki approche. Le centre d'amitié autochtone local vient d'emménager dans un local tout neuf. L'organisme espère pouvoir offrir des services aux Algonquins qui habitent hors réserve, mais aussi faire connaître la culture autochtone aux « Blancs » de la région.

« Terminer là, c'était tout à fait approprié », estime M. Kelley, qui croit que le fossé entre les peuples s'est rétréci un peu depuis sa première nomination au Ministère.

Mais les vieux réflexes ne se perdent pas si facilement : « La paix sociale est très fragile. »

Et elle a été mise à l'épreuve pendant ses dernières années comme ministre. Les révélations d'Enquête sur les relations entre police et autochtones à Val-d'Or ont mené au déclenchement de la commission Viens. Quelques mois plus tard, le jeune policier Thierry Leroux était abattu sur la réserve algonquine de Lac-Simon.

La voisine de banquette de M. Kelley à l'Assemblée nationale, Stéphanie Vallée, est aussi de l'inauguration : Maniwaki se trouve dans son immense circonscription. La ministre de la Justice a été saisie par l'émotion en rendant hommage à son collègue.

« Tu as été le champion de la cause des communautés autochtones. Je le sais », dit-elle au micro, après s'être excusée de ne pouvoir en dire beaucoup plus pour préserver le secret des débats au Conseil des ministres.

Dans la limousine, le ministre évoquera des projets parfois difficiles à faire passer auprès de ses collègues (et à ses propres yeux) en raison des factures gonflées par l'isolement de certaines communautés. Un nouveau CLSC dans un minuscule village inuit, par exemple. Prix : 48 millions. Population : 209 personnes.

ALLERGIQUE AUX PRISES DE BEC

À Québec, Geoffrey Kelley se tient le plus souvent loin des projecteurs. L'homme est allergique aux prises de bec. Il a d'ailleurs coprésidé la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, devenue depuis un symbole de coopération non partisane.

C'est d'ailleurs un trait de caractère qui le sert dans les dossiers autochtones : prendre le temps d'écouter chacun, même quand les réunions se prolongent, même quand les revendications concernent plutôt Ottawa. Les chefs ont son numéro de cellulaire, assure-t-il.

Toute une différence avec l'atmosphère qui régnait quand il s'est frotté pour la première fois aux dossiers autochtones. « J'ai travaillé pour le ministre Claude Ryan [...] dans la foulée de la crise d'Oka », se souvient-il.

« Il a constaté que les Mohawks s'exprimaient en anglais, alors, avoir un attaché politique à l'aise en anglais, ce ne serait pas mauvais. »

Il se souvient notamment d'une rencontre tendue entre son patron et le chef mohawk Joe Norton. « À la fin de la rencontre, M. Ryan cherchait une porte de sortie. Il a dit : "Demain, je vais envoyer M. Kelley" », raconte-t-il, riant dans sa barbe. M. Norton, toujours chef, est devenu un ami.

De retour chez lui à Beaconsfield à temps plein, l'ex-ministre aura bientôt plus de temps pour le visiter. D'autant qu'il n'a pas de projets arrêtés pour le moment. « Je vais commencer à me poser cette question en janvier. Ma femme m'a dit à maintes reprises que rester à la maison dans une chaise blanche à ne rien faire n'était pas une option », a-t-il dit en riant.

Sa première tâche quand il aura perdu sa limousine ? Acheter une carte pour emprunter les transports en commun. Geoffrey Kelley a passé les dernières années à sillonner le Québec, de Kuujjuaq à Akwesasne, de Chisasibi à Pakua Shipi : le comble, pour un homme qui n'a jamais eu de permis de conduire de sa vie.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Geoffrey Kelley, ministre sortant des Affaires autochtones, a pris part cette semaine à l'inauguration du tout nouveau local du Centre d'amitié autochtone de Maniwaki.