Qu'arrive-t-il si on fait demi-tour après avoir amorcé un virage à 180 degrés ? On revient à son point de départ. En matière de transport, c'est un peu ce que le Québec risque de faire avec l'élection d'un gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ).

On ne pourrait trouver symbole plus puissant de ce virage que la construction d'un troisième lien entre Québec et Lévis. Les libéraux le promettaient aussi en se gardant une petite gêne, le temps qu'on réalise les études appropriées. Les caquistes n'ont pas cette patience. Ils veulent aller plus vite. Le projet coûtera 4 milliards, au minimum. Le nouveau premier ministre François Legault a répété encore hier que sa construction débuterait avant la fin du prochain mandat.

Par son ampleur, son coût et ses impacts sur la circulation dans la Vieille Capitale, ce projet remet en question l'équilibre des plans d'investissements routiers pour la prochaine décennie dans l'ensemble du Québec, et marque une rupture nette avec le mouvement que semblait vouloir prendre la planification des grands projets de transport ces derniers mois.

En considérant ce projet et les autres promesses « routières » de la CAQ, il est difficile d'imaginer comment on pourra concilier ces extensions du réseau routier avec l'objectif gouvernemental de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 37,5 % d'ici 2030. M. Legault s'est pourtant engagé à maintenir cet objectif.

DES PROMESSES

La CAQ a aussi promis en campagne de prolonger l'autoroute 13 en boulevard urbain jusqu'à Mirabel, de réaménager la route 132 à Saint-Constant et Delson, en Montérégie, d'élargir l'autoroute 30 de Boucherville à Brossard et de parachever l'autoroute 19 entre Laval et Bois-des-Filion.

Dans son plan de « décongestion » de la métropole, la CAQ rêve aussi de ressusciter le projet de modernisation de la rue Notre-Dame Est en boulevard urbain. Quand il a été tabletté, il y a presque 10 ans, ce projet était déjà estimé à un peu plus de 1 milliard.

Où trouvera-t-on l'argent pour financer tout ça ?

43 PROJETS EN ATTENTE

Au printemps dernier, le gouvernement libéral sortant a fait un grand ménage dans les projets de transport, en déposant un Plan québécois des infrastructures (PQI) qui prévoit des investissements de 20 milliards pour les routes et une somme de 9 milliards pour les transports en commun, d'ici 2028.

Parlons des routes, d'abord. Sur la somme de 20 milliards, seulement 2,6 milliards sont engagés. Cela laisse apparemment beaucoup de place pour d'autres projets, non ? Pas vraiment. Car ce plan compte pas moins de 43 projets de « plus de 50 millions » à l'étude ou en planification. Bref, en attente d'un financement. La majorité des projets concerne des infrastructures qui existent déjà.

800 PONTS MALADES

Le gouvernement Legault n'hérite pas d'un réseau routier en santé. En date d'hier, l'inventaire des structures routières du Québec répertoriait 800 ponts qui nécessitent des travaux majeurs, dont 318 qui doivent carrément être remplacés. De ces 318 ponts à remplacer, 167 sont situés sur le réseau routier supérieur. Et on ne parle pas de petits ponts.

Le pont Pierre-Laporte, à Québec, a besoin d'une réfection majeure du tablier. Tout comme le pont Laviolette, à Trois-Rivières. Le pont de l'île d'Orléans doit être remplacé. Autour de Montréal, le pont Honoré-Mercier, le pont de l'Île-aux-Tourtes et le pont Gédéon-Ouimet arrivent tous au bout de leur vie utile. Le tunnel La Fontaine subira bientôt une réfection majeure. Le pont Pie-IX est déjà en chantier. Ce n'est pas pour rien que sur les 20 milliards du PQI, presque 60 % du total - 11,5 milliards - doit financer des projets de ponts et de structures, dont une réfection importante de l'autoroute Métropolitaine.

15 000 KILOMÈTRES DE ROUTES EN MAUVAIS ÉTAT

Quant aux routes, si on considère que 79 % de leurs chaussées offrent un confort de roulement acceptable, à peine 50 % d'entre elles, sous l'asphalte, sont dans un état satisfaisant. C'est plus de 15 000 kilomètres de chaussées dont l'état réel varie ainsi de « mauvais » à « très mauvais », selon le plus récent bilan de l'état des actifs produit par le Conseil du trésor. Le PQI prévoit des investissements de 8,5 milliards sur 10 ans pour remettre ce réseau en état.

ET LES TRANSPORTS COLLECTIFS ?

S'il faut en croire le plan de décongestion de la métropole présenté par la CAQ en campagne électorale, les investissements majeurs à venir sur les routes ne se feront pas au détriment des réseaux de transports collectifs. Le plan prévoit même des « investissements accrus » dans les voies réservées aux autobus, les stationnements incitatifs, le métro, etc.

Le plan ne remet pas en question le prolongement de la ligne bleue du métro ni le Service rapide par bus du boulevard Pie-IX, dans l'est de Montréal, auxquels le gouvernement sortant a déjà donné le feu vert. La nouvelle ligne rose du métro, si chère à la mairesse de Montréal, risque toutefois d'être mise de côté.

En revanche, la CAQ promet un tramway de 1,8 milliard pour l'est de Montréal, un autre sur le boulevard Taschereau, à Longueuil, et des prolongements de presque 40 kilomètres du Réseau express métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt et placement en banlieue nord et sud de la métropole.

Le premier ministre désigné est toutefois resté vague, hier, sur le sort du « réseau structurant » du maire Labeaume, à Québec. Il a dit attendre un échéancier.

Il faudra des mois avant de savoir comment le gouvernement Legault arrivera à concilier ces projets - dont on ne connaît ni les coûts ni les échéanciers - avec les impératifs d'une gestion responsable des fonds publics et les objectifs de réduction des gaz à effet de serre.

Il y a aussi de quoi se questionner sur le sort qui sera réservé à la Politique de mobilité durable adoptée par le gouvernement sortant qui visait entre autres à réduire de 20 % la part des déplacements en auto solo et de 40 % la consommation de pétrole du secteur des transports, d'ici 2030.