Paul Gérin-Lajoie, un des artisans de la Révolution tranquille, le père de l'éducation moderne au Québec, s'est éteint, à l'âge de 98 ans.

Cet avocat de renom faisait partie de l'équipe libérale qui a pris le pouvoir en 1960. Il a été l'un des hommes forts des deux gouvernements de Jean Lesage, d'abord comme ministre de la Jeunesse et ensuite comme ministre de l'Éducation, et il a également été vice-premier ministre.

M. Gérin-Lajoie avait été éprouvé plus tôt cette année par le décès de sa femme, Andrée Gérin-Lajoie, dont il partageait la vie depuis 80 ans.

Ce grand politicien, reconnu et récompensé au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, est l'une des figures marquantes du Québec contemporain, par ses réalisations et par sa passion pour le changement.

« C'était un ami et j'étais un admirateur de cet ami », dit le sociologue Guy Rocher, âgé de 94 ans. « Il avait une grande énergie et une énorme capacité de travail. Une grande intelligence et un grand sens social. Ce n'était pas qu'un avocat, c'était un avocat avec un esprit social. »

Toute sa carrière, comme politicien, et ensuite dans la vie publique, a été marquée par son dévouement pour l'éducation et la jeunesse. « La jeunesse, c'est toujours l'éducation et l'éducation, c'est la jeunesse », avait-il déjà déclaré le 13 octobre 1965 au gala des Grands prix du festival du disque.

S'il a d'abord été ministre de la Jeunesse, une fonction en apparence peu prestigieuse, c'est que le Québec n'avait pas de ministère de l'Éducation. Sa première grande bataille, dans le vent de modernité qui portait ce gouvernement libéral, ce fut la création du ministère de l'Éducation, dont il est devenu le premier titulaire, une idée qui suscitait de très vives résistances au Québec de la part du clergé, qui contrôlait les institutions d'enseignement, et des élites traditionnelles.

Soutenu par la Commission Parent, lancée par le gouvernement Lesage, Paul Gérin-Lajoie est à l'origine de plusieurs des grandes réformes qui caractérisent toujours le système d'éducation québécois, notamment la fréquentation scolaire obligatoire jusqu'à 16 ans, le principe de la gratuité et de l'accessibilité, et la création des polyvalentes. Il a aussi posé les jalons qui ont mené à la création des cégeps et du réseau de l'Université du Québec.

« C'était un des grands artisans du renouveau du système scolaire du Québec », affirme Andrée Dufour, historienne de l'éducation. « Il a démocratisé l'enseignement. C'était un immense monsieur. »

Comme ministre, M. Gérin-Lajoie s'est distingué dans un autre domaine, celui des relations internationales, notamment en énonçant, en 1965, le principe suivant : « Dans tous les domaines qui sont complètement ou partiellement de sa compétence, le Québec entend désormais jouer un rôle direct, conforme à sa personnalité et à la mesure de ses droits. » Ce principe, qu'on décrit toujours comme la doctrine Gérin-Lajoie, reste le fondement de la politique internationale du Québec. On lui doit, dans ce sillage, les premiers accords internationaux avec la France. Les spécialistes voient en lui un des pionniers du concept de francophonie.

C'est à cet autre pôle de son intervention qu'il s'est consacré après avoir quitté la vie politique. De 1970 à 1977, il a présidé l'Agence canadienne de développement international (ACDI), à l'époque où cette agence fédérale de coopération avec les pays en développement a connu un important essor.

Après l'ACDI, il a dirigé pendant plusieurs années une société-conseil dans le domaine de la coopération internationale. Mais c'est pour une autre initiative, qui lui a permis d'intégrer ses deux passions, l'éducation et l'aide internationale, que les Québécois le connaissent davantage : la Fondation Paul-Gérin Lajoie, dont il a été longtemps le PDG et, jusqu'à son décès, le président du conseil. 

Cet organisme « a pour mission de contribuer à l'éducation de base des enfants, de même qu'à l'alphabétisation et à la formation professionnelle des jeunes dans les pays en développement ». Au Canada, la Fondation mène aussi des activités de sensibilisation à la coopération et à la solidarité internationale.

Bien des générations de jeunes québécois, qui savent peu de choses sur les artisans de la Révolution tranquille connaissent pourtant Paul Gérin-Lajoie sans le savoir, à travers ses initiales, PGL, du nom de la célèbre dictée à laquelle des centaines de milliers d'entre eux ont participé.

L'héritage de Paul Gérin-Lajoie salué 

L'important héritage laissé par Paul Gérin-Lajoie dans les domaines de l'éducation et de l'aide internationale a été salué par de nombreuses personnalités, lundi, et par les politiciens de toute allégeance.

Voici quelques déclarations en réaction à son décès:

- La Fondation Paul Gérin-Lajoie:

«La disparition de notre fondateur consterne toutes et tous, et l'ensemble de l'équipe de la Fondation adresse ses plus sincères condoléances et amitiés à la famille et aux proches de notre président fondateur. Que tous soient certains que cet exemple de vie demeure une source d'inspiration qui nous donne l'élan et la volonté de continuer l'oeuvre essentielle et toujours vivante de Paul Gérin-Lajoie.

- Philippe Couillard, premier ministre du Québec:

«Sa stature dépasse celle d'un seul parti politique. C'est un homme qui appartient à l'histoire du Québec. Il faut lui dire un grand merci et apprécier ce qu'il nous a laissé: la démocratisation et la modernisation du réseau de l'éducation; c'est ça qui a ouvert la porte à la modernité pour les Québécois et les Québécoises et qui a créé l'État moderne dans lequel on est maintenant.»

- Hélène David, ministre de l'Enseignement supérieur:

«Il avait l'accessibilité comme un mantra; l'accessibilité aux études, c'est vraiment Paul Gérin-Lajoie qui l'aura le plus portée. (...) Même après la fin de sa carrière politique, il a toujours exercé pour continuer à intervenir pour l'éducation, non seulement au Québec mais partout dans le monde. C'est un homme d'une détermination... Déterminé jusqu'à la toute, toute fin.»

- Sébastien Proulx, ministre de l'Éducation:

«Quelle triste nouvelle d'apprendre le décès de M. Paul Gérin-Lajoie, l'un des principaux artisans du système d'éducation au Québec. Mes plus sincères condoléances à son fils François et à tous ses proches. Au revoir monsieur le ministre!»

- François Legault, chef de la Coalition avenir Québec:

«Paul Gérin-Lajoie était un grand Québécois, qui demeure une source d'inspiration pour moi. Mes plus sincères sympathies à sa famille et à ses proches.»

- Jean-François Lisée, chef du Parti québécois:

«Avec audace, énergie et talent, Paul Gérin-Lajoie a guidé le Québec moderne sur les chemins de l'éducation, de la culture, de la valorisation du français, des relations et de la solidarité internationales. Un grand homme. Un bâtisseur d'État. Un humaniste. Un modèle.»

- Justin Trudeau, premier ministre du Canada:

«Les contributions immenses et historiques de Paul Gérin-Lajoie à la vie publique et à l'éducation - au Québec et dans le monde - ont contribué à améliorer l'avenir de tant de jeunes et à renforcer notre société. Sophie et moi offrons nos sincères condoléances à ses proches.»

- Marie-Claude Bibeau, ministre fédérale du Développement international et de la Francophonie:

«Un grand homme vient de s'éteindre. Un de nos grands ambassadeurs. Ses actions ont contribué à inspirer des générations de Canadiens à s'intéresser et s'investir dans le développement. Mes condoléances à la famille et amis de Paul Gérin-Lajoie.»

- Alain Rayes, député du Parti conservateur du Canada et lieutenant québécois du chef Andrew Scheer:

«Le Québec perd un de ses grands bâtisseurs aujourd'hui, Paul Gérin-Lajoie. Ayant oeuvré dans le milieu de l'éducation, je peux témoigner de ce qu'il a fait pour rendre accessible à tous l'éducation, au Québec et ailleurs dans le monde. Merci et sincères condoléances aux proches.»

- Rhéal Fortin, député fédéral du parti Québec debout:

«On peut dire que d'une certaine façon, Paul Gérin-Lajoie a été l'un des pionniers à revendiquer l'indépendance du Québec, ou à tout le moins, son indépendance vis-à-vis le contrôle d'Ottawa dans les champs qui sont sous sa juridiction.»

- Mario Cardinal, auteur de la biographie «Paul Gérin-Lajoie - L'Homme qui rêve de changer le monde»:

«Gérin-Lajoie, on en parle au Québec, mais il est connu partout! Allez au Sénégal, allez voir dans d'autres pays en Afrique, par exemple, c'est extraordinaire ce qu'il a fait. Et non pas seulement les gars, mais les filles aussi. Il a fait beaucoup de choses pour les filles en Afrique et on sait à quel point dans beaucoup, beaucoup de pays, les filles n'ont pas de temps à perdre à aller à (l'école). Mais Gérin-Lajoie s'est battu là-dessus.»

- Avec La Presse canadienne

À son sujet

Né le : 23 février 1920, fils d'Henri Gérin-Lajoie, avocat, et de Pauline Dorion

À : Montréal

Formation : licencié en droit de l'Université de Montréal, membre du Barreau du Québec et détenteur d'un doctorat en droit constitutionnel de l'Université d'Oxford en Angleterre (1948).

Mandats passés : président de la commission politique du Parti libéral, député, ministre, président de l'ACDI, directeur général de la Société du Vieux-Port de Montréal, président de la Fondation Paul Gérin-Lajoie.

Récompenses : Son engagement et son oeuvre lui ont valu de nombreux prix au fil des ans et titres honorifiques, parmi lesquels : prix David en sciences morales et politiques, compagnon de l'Ordre du Canada, grand officier de l'Ordre national du Québec, doctorats honorifiques de plusieurs universités, chevalier de la Légion d'honneur, Grand Montréalais de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, médaille d'or Albert-Einstein de l'UNESCO, prix René-Chaloult, prix Georges-Émile-Lapalme, membre émérite de l'Ordre de l'excellence en éducation du Québec.

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Grandes dates

1950-1951 

Président de l'Association du jeune Barreau du Canada

1960

Élu député libéral dans Vaudreuil-Soulanges en 1960. Réélu en 1962 et en 1966.

1962

Création du premier Centre de recherche en droit à l'Université de Montréal, toujours actif. Pierre-Elliott Trudeau a un des premiers invités à faire partie de ce centre comme chercheur.

1960-1966

Premier titulaire du ministère de l'Éducation du Québec (en 1964), vice-premier ministre et ministre de la Jeunesse

1970-1977

Président de l'Agence canadienne de développement international (ACDI)

1977

Président de la fondation Paul Gérin-Lajoie, un organisme philanthropique dans le domaine de la coopération internationale. Un de ses volets les plus connus est la Dictée PGL.

1981 à 1985

Directeur général de la Société du Vieux-Port de Montréal

1985

Nommé Chevalier de l'Ordre national du Québec en 1985, Officier en 1987, puis Grand officier en 1998.

1992

L'Université du Québec à Montréal lui attribue son premier doctorat honorifique pour s'être illustré, entre autres, comme l'un des artisans de la Révolution tranquille, de la réforme de l'éducation, du rétablissement des relations franco-québécoises et comme l'un des grands administrateurs de l'aide canadienne au développement international.

2009

Le pavillon de l'Éducation de l'UQAM est rebaptisé pavillon Paul-Gérin-Lajoie, pour souligner le caractère unique dans l'histoire du Québec de sa contribution au développement de l'éducation.